Article précédent : (1/3) "connaître et anticiper" ?
Et si nos stratèges étaient à nouveau en retard d'une guerre ?
À l'ère industrielle qui
incitait à la mobilité, nous nous sommes retranchés derrière une ligne Maginot
quand il aurait fallu développer les chars de combat, l'aviation et les
sous-marins. À l'ère de l'information qui lui succède et incite à
l'anticipation et au dialogue, nous nous réfugions derrière des monuments de
doctrine aussi peu réalistes que la ligne Maginot, et des paraphrases qui
minimisent l'importance du renseignement quand celui-ci doit adapter ses pratiques
d’exploitation aux technologies numériques. C’est pourtant seulement ainsi que le
renseignement pourra renouer avec sa fonction d’exploitation mise en péril par la surabondance d’information. En même temps que la stratégie renoue avec une tradition préventive un temps confisquée par l'affrontement massif et brutal des puissances, l’exploitation du
renseignement, redevient en effet de facto une
fonction essentielle à laquelle il faudrait consacrer tous nos efforts pour
accompagner sa métamorphose dans un environnement technologique en pleine
mutation.
Au lendemain du premier conflit mondial, avec la
motorisation du champ de bataille, la guerre de position devait céder le pas à
une guerre de mouvement. La puissance de feu et la conquête puis l'occupation
du territoire étaient toujours les facteurs déterminants de toute stratégie
militaire, mais la mobilité devenait une capacité tactique essentielle,
reléguant la fortification à un passé technico-militaire certes riche mais
clairement dépassé sur le plan opérationnel. La fin de la seconde guerre
mondiale et le fait nucléaire ont marqué la limite de cette stratégie
d'affrontement massif en sonnant le glas de la guerre totale entre grandes
puissances. La dissuasion avec la menace d'une puissance de feu apocalyptique
devenait le fait politico-militaire majeur, réduisant la stratégie à la
planification de scénarios aussi improbables que monstrueux, tandis que les
guerres coloniales répétaient toutes le même échec des stratégies
d'affrontement armé et d'occupation du territoire face à la résistance des
peuples déterminés à acquérir leur indépendance.
La disparition inéluctable de tous les empires
coloniaux ayant laissé la place à un monde particulièrement instable qu'aucune pax romana, qu'elle soit americana, sovietica ou encore occidentalia, ne peut plus prétendre régenter, il nous faut
désormais "changer de logiciel" et comprendre (ce que le fait
nucléaire laissait déjà entrevoir avec la dissuasion) que l’intervention
militaire fondée sur la puissance de feu et le contrôle du territoire n'est
plus le facteur stratégique déterminant d'une politique de défense moderne dont
le concept est élargi à la notion de sécurité nationale. La sécurité des
nations doit passer par d'autres modalités stratégiques d'utilisation des
forces armées lorsque celles-ci s'avèrent nécessaires. La faillite politique de
toutes les aventures guerrières occidentales depuis la fin de la seconde guerre
mondiale et les échecs militaires de bon nombre d'entre elles, doivent nous
inciter à envisager la sécurité nationale sous un autre angle stratégique que
celui de l’intervention et la puissance de feu avec la mobilité comme capacité
tactique prioritaire pour assurer le contrôle du terrain.
Alors que le prix de chaque vie humaine devient à ce
point élevé qu'aucune démocratie ne peut plus survivre à des hécatombes
humaines telles que nous en avons connu au vingtième siècle, tant dans son
propre camp du fait de l'ennemi, que dans le camp ennemi de son propre fait, et
que l'arme atomique a rendu la dissuasion déterminante pour assurer la sécurité
entre grandes puissances, la prévention s'impose naturellement comme fonction
stratégique majeure (probablement la seule véritablement réaliste) en matière
de sécurité nationale.
Il est d’usage de considérer qu’après l’ère
industrielle amorcée au 19ème siècle, nous sommes entrés au 21ème
siècle dans l'ère de l'information. Dans cette nouvelle ère qui s’ouvre à nous,
l'intervention cède la place à la prévention : il s'agit de prévenir les crises
ou les agressions d'où qu'elles viennent, par tous les moyens. La connaissance
et l'anticipation deviennent les facteurs déterminants de toute stratégie
militaire en lieu et place de la puissance de feu et de la conquête.
La dissuasion était le moyen majeur de prévention des
conflits dans la guerre froide qui opposait les grandes puissances
nucléaires. Un peu comme un jeu de poker géant n'arrivant jamais à terme, elle
reposait sur le secret des cartes et des enjeux si énormes qu’ils paralysaient
le jeu de chacun. Fondé sur une sorte de bluff monstrueux qui consiste à
"faire tapis" systématiquement, ce jeu est néanmoins de plus en plus
perturbé par de nombreux petits acteurs ne disposant pour l’instant que de
petites mises, mais suffisantes pour l’emporter sur les grands, paralysés par l’énormité
de leur tapis. La prévention ne peut plus désormais se contenter du rempart que
la dissuasion dressait, adossée au secret des cartes. Elle doit désormais
s'appuyer sur l'anticipation et la connaissance du dessous des cartes par tous,
en impliquant toutes les "parties prenantes" grâce à une
communication érigée en capacité majeure.
À suivre : (3/3)La communication à l’honneur
Et si nos stratèges étaient à nouveau en retard d'une guerre ?
À l'ère industrielle qui incitait à la mobilité, nous nous sommes retranchés derrière une ligne Maginot quand il aurait fallu développer les chars de combat, l'aviation et les sous-marins. À l'ère de l'information qui lui succède et incite à l'anticipation et au dialogue, nous nous réfugions derrière des monuments de doctrine aussi peu réalistes que la ligne Maginot, et des paraphrases qui minimisent l'importance du renseignement quand celui-ci doit adapter ses pratiques d’exploitation aux technologies numériques. C’est pourtant seulement ainsi que le renseignement pourra renouer avec sa fonction d’exploitation mise en péril par la surabondance d’information. En même temps que la stratégie renoue avec une tradition préventive un temps confisquée par l'affrontement massif et brutal des puissances, l’exploitation du renseignement, redevient en effet de facto une fonction essentielle à laquelle il faudrait consacrer tous nos efforts pour accompagner sa métamorphose dans un environnement technologique en pleine mutation.
Il est d’usage de considérer qu’après l’ère
industrielle amorcée au 19ème siècle, nous sommes entrés au 21ème
siècle dans l'ère de l'information. Dans cette nouvelle ère qui s’ouvre à nous,
l'intervention cède la place à la prévention : il s'agit de prévenir les crises
ou les agressions d'où qu'elles viennent, par tous les moyens. La connaissance
et l'anticipation deviennent les facteurs déterminants de toute stratégie
militaire en lieu et place de la puissance de feu et de la conquête.
La dissuasion était le moyen majeur de prévention des conflits dans la guerre froide qui opposait les grandes puissances nucléaires. Un peu comme un jeu de poker géant n'arrivant jamais à terme, elle reposait sur le secret des cartes et des enjeux si énormes qu’ils paralysaient le jeu de chacun. Fondé sur une sorte de bluff monstrueux qui consiste à "faire tapis" systématiquement, ce jeu est néanmoins de plus en plus perturbé par de nombreux petits acteurs ne disposant pour l’instant que de petites mises, mais suffisantes pour l’emporter sur les grands, paralysés par l’énormité de leur tapis. La prévention ne peut plus désormais se contenter du rempart que la dissuasion dressait, adossée au secret des cartes. Elle doit désormais s'appuyer sur l'anticipation et la connaissance du dessous des cartes par tous, en impliquant toutes les "parties prenantes" grâce à une communication érigée en capacité majeure.
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