Tout récemment, j'ai encadré un travail de mémoire de Master 2 en
intelligence économique réalisé par un étudiant en parcours de
validation d'une expérience professionnelle d'analyste acquise dans
un grand service de renseignement. Les échanges que j'ai eu avec lui à cette occasion, comme son mémoire intitulé "Exploitation
des bases de données utilisées par les services collectant du
renseignement : l'importance de l’intervention humaine", m'ont
confirmé dans l'idée que les difficultés d'adaptation du renseignement de documentation à
la
révolution numérique en cours et aux bouleversements pratiques qu'elle
génère, ne sont toujours pas surmontées. Bien que les services aient
acquis au cours des
siècles une expérience irremplaçable de cette discipline (le
prédécesseur de la DGSE
s'appelait SDECE pour "Service de Documentation Extérieure et de
Contre-Espionnage"), son travail sur l'exploitation des bases de données
montre en effet, sans aucun doute, que ces difficultés sont toujours
terriblement d'actualité.
Ceux qui suivent régulièrement mes travaux peuvent s'étonner, à la lecture de mes dernières tribunes pour le Cercle K2, de leur glissement progressif vers le vaste champ des sciences politiques. Cette série de 6 tribunes entamée par "Le nombre et l'unité dans l'ordre républicain",
peut en effet sembler s'éloigner quelque peu de l'étude stricte du
couple information-communication qui était le socle scientifique de ma thèse de doctorat sur le renseignement. C'est la raison pour laquelle j'ai ressenti dernièrement le besoin de publier une nouvelle tribune intitulée "De la démocratie en République", que j'ai reprise pour une lecture plus facile dans une version pdf plus complète, enrichie d'un préambule destiné à en éclairer
l'objet et les motifs. Cette dernière tribune fait une synthèse des précédentes en insistant
sur les enjeux essentiels de la recherche en matière d'information et de
communication, qui sont en réalité éminemment politiques. Ils
dépassent en effet très largement le strict périmètre des théories de
l'information et de la communication qui relèvent plus des mathématiques
et de l'informatique que des humanités, même si les Sciences de
l'Information et de la Communication (SIC) sont dans les faits
rattachées
aux Sciences Humaines et Sociales (SHS).
La recherche en sciences de
l'information ne peut pas selon moi négliger les travaux relatifs à la conception de
systèmes d'information adaptés à la pratique scientifique d'une
véritable intelligence collective, et abandonner ainsi aux seuls champions de
la "Tech", cet immense champ d'investigation. Elle doit pour cela
s'intéresser de près au problème de l'interface entre le
traitement numérique des données de masse, et
l'exploitation d'une information singulière qui est par nature analogique. Si la
technologie et les intelligences artificielles maîtrisent de mieux
en mieux le traitement des données, seule une méthodologie rigoureuse
et la mise en œuvre d'une intelligence collective permettront de
maîtriser
l'exploitation du renseignement de documentation avec toute
l'efficacité nécessaire à la
sagacité de la prise de décision politique. Je reste, à ma connaissance,
étonnement seul à travailler sur cet aspect méthodologique et
foncièrement politique du problème, en proposant
d'investiguer une thématique portant sur l'organisation
de mémoires collectives qui s'inspirerait du
renseignement de documentation, et pourrait prendre comme modèle
l'organisation de
nos mémoires individuelles, pour façonner une "intelligence collective de documentation".
Profondément
convaincu de ce que, ne pas s'entendre sur le sens des mots, c'était ajouter aux malheurs du monde, j'ai entrepris en même temps que je
finalisais ce travail sur la démocratie en République, un exercice de
clarification du vocabulaire et des concepts associés à l'information et
à ses implications politiques. Cette exploration conceptuelle a pris la forme d'un petit glossaire (information scientifique et intelligence collective) dont la présentation ne respecte pas l'ordre alphabétique d'usage, mais déroule le fil de mes réflexions sur "les mots, l'information, la communication et la documentation au service de la démocratie en République".
À
l'aube de la nouvelle société de l'information en pleine gestation dans
laquelle nous entrons, nous n'avons encore qu'une très faible idée de l'immense variété du champ des possibles en matière
d'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la
communication, de leurs répercussions sur les évolutions de nos sociétés
hyperconnectées, et de toute l'étendue des bouleversements sociaux
et politiques qui nous attendent, à l'image de ceux qui ont suivi les
deux révolutions
de l'information précédentes liées à l'invention de l'écriture, puis à
celle de
l'imprimerie. C'est là, je crois, tout l'enjeu de ce lien fort
entre sciences de l'information et sciences politiques qu'il me semble à
ce titre impératif de remettre à l'ordre du jour. Le problème auquel il
convient de s'attaquer est en effet situé à l'intersection des deux
disciplines : c'est celui de cette interface si difficile à mettre en œuvre entre l'homme et la machine, entre
l'exploitation du renseignement et le traitement des données, entre une
intelligence collective et des intelligences artificielles, ou entre
l'individuel et le collectif.
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