dimanche 29 janvier 2023

de la SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION (T29)

L’expression « société de l’information » est issue de l’émergence à la fin du siècle dernier d’une sorte de « paradigme informationnel »[1] auquel les travaux de Norbert Wiener sur la cybernétique ont largement participé. Considérant l’information comme un phénomène central de la « société émergente », le discours de l’époque a en effet servi de matrice à une conception du corps social dont cette expression traduisait la mutation due à l’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication (TIC). Mais depuis le tournant du millénaire, cette thématique a tendance à se banaliser, et l’expression est passée dans le langage courant laissant ainsi croire à un changement de statut de ladite société qui serait passée d’émergente à « installée ».

En toute rigueur, ce n’est pas la société de l’information qui a émergé à la fin du siècle dernier, mais une société numérique en lien avec les développements de la cybernétique, de l’informatique et des TIC. L’arrivée de l’informatique n’a fait que bouleverser notre rapport à l’information qui, quant à elle, a toujours été au cœur de l’activité humaine. L’information et ses différents supports ont en effet été de toutes les grandes mutations civilisationnelles qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. Le droit écrit, la monnaie, la géométrie, les grandes religions monothéistes, sont apparues avec l’arrivée de l’écriture. Le capitalisme, la science expérimentale moderne, la réforme luthérienne, les démocraties modernes sont nées avec l’invention de l’imprimerie. La mondialisation actuelle enfin est née avec l’invention de l’informatique.

En réalité, l’expression « société de l’information » a le mérite de focaliser l’attention sur notre accès à l’information qui est en train de faire basculer la société dans un nouvel univers. Si l’information est l’oxygène nécessaire à toute vie sociale, la révolution informatique qui a présidé à l’avènement de la société numérique est encore très loin en effet d’avoir montré toute l’étendue des bouleversements cognitifs, culturels, politiques et sociaux, voire civilisationnels liés à l’information, qu’elle porte en germe. Le cyberespace qui est le terrain de jeu de cette nouvelle société nous donne chaque jour un peu plus la mesure de ces bouleversements. « Dans quel espace vivons-nous actuellement ? » s’interrogeait en 2007 le philosophe et historien des sciences Michel Serres. « Nous avons changé d’espace » précisait-il, or « changer d’espace » a « des répercutions culturelles considérables qui touchent à la fois le juridique et le politique »[2].

Les discours scientifiques sur le thème de la société de l’information, le logos ou la raison qui les porte, relèvent ainsi d’une sorte d’anthropologie politique à la fois prospective, pour accompagner « l’homme à venir » dans la cité du futur, et historique, pour inscrire les bouleversements attendus dans la lignée des grandes mutations culturelles et politiques du passé. Le concept de société de l’information, bien que l’expression soit désormais passée du discours scientifique au langage courant, est encore très loin de refléter l’immense variété du champ des possibles en matière d’utilisation des TIC et de ses effets sur les évolutions de nos sociétés hyperconnectées. Les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) ont à n’en pas douter un rôle éminent à tenir dans l’approfondissement de cette thématique scientifique, afin de ne pas risquer un nouveau « changement dans les dispositions fondamentales du savoir » impliquant « que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable »[3].

Dans la dimension collective que la « chose publique » impose en matière de société de l’information, on a vu que la raison prolongeait l’intuition en procédant comme elle, de ce sens commun éminemment politique qui initie la mise « en-forme » (information) de savoirs communs dans une documentation scientifique. Cette dernière permet l’élaboration collective d’une pensée collégiale et ainsi le fonctionnement d’une véritable intelligence collective.

 
Information scientifique et intelligence collective : un langage documentaire universel, pour une approche scientifique du sens de l’État guidée par une conscience politique partagée, au service de l’intérêt général. (Terminologie 29)

[1] Philippe Breton, Généalogie du paradigme informationnel. In: Revue des sciences sociales, N°28, 2001, pp. 129-136.

[2] Michel Serres, Les nouvelles technologies révolution culturelle et cognitive, Conférence, Quarante ans de l’INRIA, forum « Informatique et Société », Lille, 2007.

[3] Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris. 1966.


 

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