"Le numérique" (entendre : "les technologies fondées sur le calcul numérique") est une manière de
représenter le monde qui emprunte à la nature son mode d'écriture (une technique).
L'informatique en est l'outil et l'informatisation, un phénomène dont les
aspects anthropologiques sont particulièrement importants à prendre en
compte. Les profondes mutations anthropologiques induites par l’émergence des
technologies fondées sur le calcul numérique, conduisent à appliquer l’adjectif
numérique à tout un ensemble d’objets
dont le périmètre est aussi vaste que la révolution (numérique) à l’œuvre dans
nos sociétés.
Faut-il pour autant détourner le sens du mot numérique en prenant le contre-pied de son étymologie, pour lui faire désigner l'ensemble des phénomènes anthropologiques que suscite l'informatisation ? À la lumière de ce qui précède (partie 1/2), ce serait à mon sens une faute, certes bénigne, mais bien inutile.
Ce détournement serait un peu en effet comme celui qui
a malheureusement déjà été fait du mot information,
en faisant fi de son étymologie pour inventer le terme informatique. Même s’il a été officialisé par l’Académie française,
qui en 1967 a décidé de lui attribuer la signification de science du traitement rationnel et automatique de l’information, le
mot informatique a en effet été
construit en fusionnant les notions d’information et d’automatique pour
désigner la science des calculateurs, c’est-à-dire une science s’intéressant au
traitement des données numériques. L’information, si l’on en croit ce
néologisme improbable, serait susceptible de se réduire à une matière dont le
traitement pourrait être automatisé. Ce serait faire fi de l’extraordinaire
complexité de cette notion d’information dont l’étymologie devrait pourtant
nous inciter à tenir compte.[1]
Comme Michel Volle,
je pense que nous galvaudons le mot
information, en particulier avec la science des ingénieurs qui a dominé tout le vingtième siècle, et cette fameuse "théorie de l’information" de
Shannon qui n’était en réalité qu’une théorie
de la communication (A mathematical
theory of communication), tandis que l’information dont elle traitait
n’était en fait qu’un signal. Étymologiquement, une "information", c'est quelque chose qui modifie ou
complète la forme de votre représentation du monde, qui donc vous forme
intérieurement, vous in-forme, ajoute Michel Volle.
Si l’on s’efforce d’être précis,
poursuit encore celui-ci, on voit que la
donnée ne devient une information que quand elle est reçue par un être humain
qui l’interprète. La dimension humaine (donc non automatisable, sauf à
transformer l’homme en automate) de la notion d’information est incontournable.
Le signal
se traite, les données se mémorisent et
se calculent, mais l’information s’exploite. Exploiter[2]
une information, c'est en tirer profit
en l’interprétant pour en extraire le sens,
enregistrer le savoir qu’elle engendre, puis l’intégrer
dans une connaissance que l’on peut
restituer sous forme d’une nouvelle
information, pour partager la
connaissance restituée ou encore communiquer
un nouveau savoir. Présenté ainsi,
ce travail de la pensée peut paraître simple, mais encore faut-il examiner ce
qui se cache derrière les mots interpréter,
sens, connaissance, savoir et
encore information, pour se faire une
idée de l’extraordinaire complexité des tâches couramment assumées par le
cerveau humain.
Si l’ordinateur, et le calcul numérique qui fonde
l’ensemble des techniques liées à son usage, permettent de traiter des signaux et
de calculer, puis de mémoriser des données, ils s’avèrent en revanche parfaitement incapables d’exploiter l’information. Des algorithmes (calcul) peuvent être conçus et
développés pour automatiser de nombreuses tâches permettant de faciliter
l’exploitation de l’information, grâce à la numérisation du document
(traitement du signal) qui est son support désormais universel, en particulier
en matière d’analyse (calcul), de mémorisation et de restitution des
innombrables données qui s’y attachent. Mais il en va tout autrement du travail
réalisé par le cerveau humain qui, à partir de la perception d’un signal lui
donnant sens (effet produit par la
réception du signal chez un sujet, selon Atlan[3]),
suscite une représentation mentale susceptible de s’exprimer par
l’intermédiaire d’une proposition réalisant l’énoncé (phénomène linguistique)
d’un jugement (phénomène intellectuel) pour restituer de manière formelle
une in-formation.
L’automate capable de remplacer le cerveau humain pour
exploiter une information n’est pas né.
L’ordinateur, comme la technique informatique et le calcul numérique sur lesquels repose son fonctionnement, ne sont d’ailleurs pas faits pour cela. Tout au plus peuvent-ils tirer profit d’un signal en le "traitant" pour en extraire des données dont la mémorisation et le calcul peuvent être d’une très grande utilité à l'élaboration et à l'énoncé d'un jugement, puis, à l’issue de ce dernier (dont nous aimons à croire qu'il ne peut être que l’œuvre d'un cerveau humain), participer à l’élaboration d’un nouveau signal en codant une nouvelle information pour la transmettre et communiquer ainsi un nouveau savoir. C’est déjà énorme mais n’a rien à voir avec l’exploitation de l’information qui implique l’usage de la raison (à ne pas confondre avec la logique). Le raisonnement est un phénomène intellectuel qui n’a rien d’automatique donc d’informatisable.
L’ordinateur, comme la technique informatique et le calcul numérique sur lesquels repose son fonctionnement, ne sont d’ailleurs pas faits pour cela. Tout au plus peuvent-ils tirer profit d’un signal en le "traitant" pour en extraire des données dont la mémorisation et le calcul peuvent être d’une très grande utilité à l'élaboration et à l'énoncé d'un jugement, puis, à l’issue de ce dernier (dont nous aimons à croire qu'il ne peut être que l’œuvre d'un cerveau humain), participer à l’élaboration d’un nouveau signal en codant une nouvelle information pour la transmettre et communiquer ainsi un nouveau savoir. C’est déjà énorme mais n’a rien à voir avec l’exploitation de l’information qui implique l’usage de la raison (à ne pas confondre avec la logique). Le raisonnement est un phénomène intellectuel qui n’a rien d’automatique donc d’informatisable.
Le terme numérique,
même substantivé pour désigner le calcul numérique, cette technologie dont les
applications bouleversent nos modes de vie, n'est pas en soi un phénomène ou un ensemble de phénomènes, mais bien, « par opposition à Analogique », un « codage » « d'informations
ou de grandeurs physiques sous forme de chiffres ou de signaux à valeur
discrète (ou discontinue) » comme nous l’indique le dictionnaire de
l’Académie française (cf. encadré partie 1/2). C’est une manière de représenter des
phénomènes, qui emprunte aux mathématiques. En cela d'ailleurs, la technologie
numérique se conforme à la nature dont le livre est écrit, comme chacun sait
depuis Galilée et avant lui Pythagore, en langage mathématique.
Ce n'est pas l'informatisation qui suscite un phénomène numérique, mais bien l'inverse
: l'informatisation est suscitée par l'essor des techniques numériques (le -
calcul - numérique) comme l'industrialisation l'a été en son temps par l'essor
des techniques mécaniques (la mécanique). C'est l'informatisation, comme
l'industrialisation l'a été en son temps, qui peut être et doit être sans aucun
doute considérée comme un phénomène dont la dimension anthropologique est
incontournable. Le numérique n'est pas un phénomène suscité par
l'informatisation, mais une technique dont l'essor suscite un ensemble de
phénomènes anthropologiques faisant partie intégrante du phénomène
d'informatisation qui succède au phénomène d'industrialisation.
[1] En toute rigueur, Philippe Dreyfus,
ingénieur chez Bull, qui voulait en 1962 traduire l’expression computer science et à qui Michel Volle
attribue l’origine de ce mot, aurait été sans doute mieux inspiré
d’inventer le terme datamatique qui
exprime bien la notion de traitement automatique de données pour laquelle
l’ordinateur a été conçu.
[2] « 1. Faire valoir un bien, le rendre productif, de manière à en tirer un
profit. 2. Utiliser à son avantage ;
tirer parti de. », selon le Dictionnaire
de l’Académie française, 9ème édition.
[3] Atlan H. (1977), Modélisation et maîtrise des systèmes, Suresnes, Éditions Hommes et
Techniques.
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