mardi 23 décembre 2014

Intelligence économique et renseignement d’entreprise

Pour une politique publique distincte de ses prolongements privés dans l’entreprise et la considération de leurs liens respectifs avec un renseignement débarrassé de tous les accessoires de la clandestinité propres aux missions régaliennes de sécurité nationale

Si l’on veut bien observer avec les militaires qu’un renseignement (résultat de l’exploitation des informations[1]) est une information exploitée, le renseignement est une fonction d’exploitation qui parcourt dans son intégralité un cycle allant du recueil de l’information utile, à l’orientation des sources ou des capteurs, en passant par la capitalisation des connaissances et la restitution de savoirs à tous les acteurs opérationnels qui en ont l’usage. À partir de là, on peut tenter une définition du renseignement qui permette d’envisager sereinement son extension au domaine économique sous certaines conditions qu’il est possible de préciser.


Le renseignement est une fonction d’exploitation de l’information utile à la décision dans l’action en environnement hostile ou tout simplement incertain. Il se distingue fondamentalement de l’espionnage qui est une fonction de recueil d’information dans la clandestinité, pratiquée dans des circonstances "spéciales" et dans le "secret", par des services spéciaux ou secrets. Même si elle est un instrument essentiel de prévention, la fonction renseignement ne peut se confondre avec la fonction sécurité qu’elle se contente d’éclairer, pas plus qu’elle ne doit empiéter sur le domaine de la stratégie, ou sur tout autre domaine d’intervention, qu’elle ne fait également qu’éclairer, en se contentant d’anticiper sans jamais rien prédire.

Avant toute tentative d’observation des liens existant entre intelligence économique et renseignement pour identifier des savoir-faire communs susceptibles d’être partagés, une telle définition incite toutefois à aborder l’intelligence économique avec certaines précautions. Sans un effort de clarification de certains aspects de la discipline, tout rapprochement avec le renseignement risque en effet d’être source, au mieux de rejet, au pire de dangereuses dérives. Ses contours doivent en particulier être parfaitement délimités, marquant clairement la distinction entre son objet (l’information stratégique) et ses finalités (la compétitivité et la sécurité), information et action, renseignement et sécurité ou, plus largement, entre fonction stratégique et politique publique. L’intelligence économique doit ainsi pouvoir constituer une véritable "appellation contrôlée" qui s’impose définitivement aux yeux de tous pour se traduire en réalités opérationnelles dans les entreprises (PME-PMI comprises), sans rien renier de ses liens naturels avec le renseignement.
Première précaution : séparation entre politique publique et fonction stratégique
L’intelligence économique apparaît indifféremment dans le discours officiel, tantôt comme politique publique de compétitivité, tantôt comme fonction stratégique dans l’entreprise. Bien que confondus sous une même appellation, ces deux objets sont de nature très différente et doivent être clairement distingués, car ils partagent tous deux un lien fort avec la fonction sécurité dont on a vu qu’elle ne pouvait être confondue avec la fonction renseignement. D’un côté, le caractère "stratégique" de la fonction exercée dans le cadre privé de l’entreprise, l’apparente naturellement à la fonction stratégique "connaissance et anticipation" mise à l’honneur par le Livre blanc de la Défense qui relève bien du domaine de la sécurité. De l’autre, la politique publique préconisée en 2003 par Bernard Carayon[2], s'intègre tout naturellement dans une politique globale, visant à définir une stratégie de sécurité nationale englobant la Défense nationale, la protection de notre économie et un système d'alerte contre les nouvelles menaces[3]. Il s’agit bien là d’une question de sécurité ou de défense des intérêts vitaux de la nation, fonction régalienne qui ne peut en aucun cas se confondre ou se mélanger avec une fonction, même stratégique, dont la mise en œuvre est assurée dans un cadre privé par l’entreprise.
Si l’on accepte la définition du renseignement proposée plus haut, il paraît en effet nécessaire de séparer la fonction régalienne de recueil clandestin d’informations en milieu hostile de la fonction renseignement stricto sensu. La première doit être strictement encadrée par la loi et confiée à des services de l’État (services spéciaux ou secrets) et relève d’une politique publique de protection de nos entreprises dans le cadre d’une stratégie globale de sécurité nationale, tandis que la seconde peut être exercée par des acteurs privés dans le cadre de leurs activités commerciales ou industrielles. Lorsque Bernard Carayon parle à propos de l’intelligence économique, d’une politique publique d’organisation de la convergence des intérêts entre la sphère publique et la sphère privée[4], il n’exprime rien d’autre que cette nécessaire distinction entre public et privé dont les intérêts, lorsqu’ils convergent, doivent être méticuleusement organisés en séparant avec soin fonctions régaliennes et activités privées.
Comment croire, d’une  manière plus générale, que l’on puisse promouvoir dans l’entreprise l’intelligence économique à la française avec ses trois piliers (protection, veille, influence), si celle-ci désigne en même temps une fonction régalienne de sécurité nationale qui implique le recours à des activités spéciales ou secrètes pour recueillir clandestinement des informations ou plus généralement intervenir en terrain hostile, même si c’est pour assurer la protection de ses entreprises ?
Si la définition du renseignement proposée plus haut permet d’éviter tout amalgame avec l'espionnage, il n'en reste pas moins que les mots intelligence en anglais, inteligencia en espagnol signifieront toujours "renseignement", et l'expression "intelligence économique" continuera à évoquer le renseignement économique. On voit bien là l'intérêt qu'il y a à distinguer clairement la dimension politique d'une activité publique de compétitivité sur la scène internationale, de la dimension fonctionnelle du renseignement d’entreprise : c'est généralement l'implication de l'État ou de ses "services" spéciaux ou secrets appelés à tort "services de renseignement", dans des activités dites « de renseignement » (en réalité des activités "spéciales" relevant du domaine régalien de la sécurité) qui ravive immédiatement dans le public les soupçons de "barbouzerie".
L’appellation "intelligence économique", bien que désormais d'usage courant, demeure ainsi parfois mal perçue du grand public, mal interprétée et souvent mal comprise en dehors des milieux spécialisés. Un effort de pédagogie s'impose donc, que seule l'utilisation d'un vocabulaire précis, distinguant le concept politique de la fonction stratégique devrait permettre.
Deuxième précaution : adoption d’une définition unique de la marque "intelligence économique", reconnue par tous
Si un effort a été fait en matière de définitions depuis la parution en 2003 du rapport Carayon qui en recensait vingt-deux, le portail de l’IE en 2014 présente encore trois définitions de l’intelligence économique, attribuées respectivement à Henri Martre, Christian Harbulot et Bernard Carayon. À celles-ci, on peut ajouter celle d’Alain Juillet qui en fait une bonne synthèse et permet d’y voir plus clair, sans néanmoins marquer cette différence de nature essentielle entre la politique publique et la fonction stratégique en entreprise.
Henri Martre, créateur du concept, y voit une activité centrée essentiellement sur l’information, son exploitation ainsi que sa protection : actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques, menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l'entreprise. Christian Harbulot approfondit le concept en indiquant qu’il implique tous les acteurs économiques qui participent à construction d’une culture collective de l’information, et précise en même temps son périmètre en y englobant toutes les opérations de surveillance de l’environnement concurrentiel (protection, veille, influence), ajoutant ainsi à l’exploitation de l’information et à la protection du patrimoine, les "opérations" d’influence. Bernard Carayon, quant-à-lui, nous parle de politique publique (…) d´organisation de la convergence des intérêts entre la sphère publique et la sphère privée, qui vise la sécurité économique.
L'intelligence économique, nous dit de son côté Alain Juillet, est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise de l’information stratégique et qui a pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et des entreprises[5]. L'utilisation du terme "gouvernance" a l’avantage de placer l'intelligence économique à son juste niveau, celui des autorités de direction, évitant ainsi de la confiner aux seuls domaines d'action d'un DSI ou d’une obscure cellule de veille, mais présente l’inconvénient majeur à mon sens de favoriser la confusion entre domaine régalien et domaine privé de l'entreprise.
Hormis celle de Bernard Carayon, toutes les définitions dont nous disposons réunissent dans le même concept la politique publique et la fonction stratégique. Il en résulte une certaine confusion dont seule la première précaution évoquée précédemment semble pouvoir nous préserver. Malgré l’ambiguïté induite par la signification anglaise du mot intelligence, trop souvent confondu avec "espionnage", alors que le mot "renseignement" traduit en réalité cette capacité à connaître puis à comprendre pour agir à bon escient, Bernard Carayon souligne pourtant, depuis longtemps déjà, la nécessité de maintenir cette "marque" sur laquelle, semble-t-il, tout le monde s'entend.
S’il n’est pas question donc de remettre en cause l’appellation "intelligence économique", son utilisation pour désigner une politique publique de compétitivité nationale réunissant ainsi protection économique (sécurité), exploitation de l’information stratégique (renseignement) et diplomatie d’influence, oblige probablement à éviter autant que faire se peut son application à la fonction stratégique pratiquée dans l’entreprise. Même si cette dernière englobe également protection du patrimoine immatériel de l’entreprise (sécurité), exploitation de l’information utile sur son environnement stratégique (veille stratégique) et stratégie d’influence, il serait en effet sans aucun doute plus sain et probablement aussi plus efficace, de distinguer avec soin ces trois aspects de la fonction stratégique dans l’entreprise (protection, veille et influence).
Cela aurait deux avantages. Le premier serait de ne pas risquer, en les réunissant dans un même concept, de mélanger leurs pratiques respectives avec celles de la politique publique d’intelligence économique qui a pour vocation de les soutenir, sans toutefois utiliser les mêmes moyens. Le second avantage serait de ne pas réduire l’exploitation de l’information utile dans l’entreprise à une simple veille, même stratégique, qui de plus, se cantonnerait à la sécurité et à l’influence. Les métiers de l’intelligence économique se sont en effet tout naturellement organisés, dans le cadre de cette politique publique, autour des trois pôles (protection, veille, influence) correspondant aux seuls grands domaines régaliens (sécurité, renseignement, diplomatie) dans lesquels la puissance publique peut et doit apporter son soutien à l’entreprise privée, occultant ainsi tous les autres aspects nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel[6].
On peut donc tenter une autre synthèse de cet ensemble de définitions qui :
-     pose d’emblée avec Bernard Carayon, que l’IE est une politique publique (qui contribue à l’organisation de la convergence des intérêts entre la sphère publique et la sphère privée),
-     observe avec Alain Juillet qu’elle a pour objet la maîtrise de l’information stratégique et pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et des entreprises,
-     complète avec Christian Harbulot en notant qu’elle s’organise autour de la construction d’une culture collective de l’information (veille et protection) et en y ajoutant les opérations d’influence,
-     puis précise avec Henri Martre, qu’il s’agit d’exploitation de l'information utile aux acteurs économiques.
Ce qui nous amène à proposer la définition suivante :
L’intelligence économique est une politique publique ayant pour objet la maîtrise de l’information stratégique utile aux acteurs économiques, pour noyau la construction d’une culture collective de l’information (veille), pour moyen d’action extérieur l’influence et pour finalité la compétitivité et la sécurité (protection du patrimoine immatériel) de l’économie et des entreprises.
Même si une telle politique a pour vocation entre autres de promouvoir dans l’entreprise l’exercice d’une discipline ayant le même objet (l’information) et les mêmes finalités (stratégie et protection), sa pratique qui met en œuvre des moyens relevant du domaine régalien l’en distingue radicalement. Afin de régler au mieux la convergence des intérêts entre public et privé, cette discipline, que l’intelligence économique soutient et dont elle partage l’objet et les finalités mais pas les moyens, doit s’organiser indépendamment de ce fameux cadre à trois volets (sécurité, veille, influence) de la politique publique. Elle doit en particulier clairement discerner son objet (l’information) de ses finalités (la compétitivité et la sécurité) et les considérer comme autant de disciplines spécifiques distinctes, en reconnaissant le caractère central de l’exploitation de l’information utile (le renseignement d’entreprise), pour préciser avec soin les moyens qu’elle met au service de la stratégie dans toutes ses dimensions, défensive (protection) ou conquérantes (innovation, prospection, influence,..), qu’elle se contente d’éclairer sans jamais s’y assimiler.
Troisième précaution : identification précise des disciplines à promouvoir dans l’entreprise pour traduire la politique publique d’intelligence économique en réalités opérationnelles efficaces
Ainsi, plutôt que de parler d'intelligence économique dans l'entreprise, il serait probablement plus sage de parler d'abord et avant tout de la fonction stratégique connaissance et anticipation appliquée à l'environnement concurrentiel de l'entreprise, ou pour faire plus court de renseignement d'entreprise (fonction d'exploitation de l'information utile à la décision dans l'action en environnement concurrentiel pour l'entreprise). Cette fonction essentielle se situe au cœur de l'activité de l'entreprise. Elle doit être utilisée et alimentée par tous dans l'entreprise, et en particulier, ceux qui sont en charge de la protection du patrimoine immatériel de l'entreprise comme ceux qui sont en charge de la stratégie d'influence et, plus largement, de la stratégie industrielle ou commerciale.
Au cœur du dispositif donc, le renseignement (exploitation de l’information utile) qui irrigue tous les métiers de l’entreprise nécessaires à l’atteinte des objectifs[7] et se nourrit de l’information dont tous sont susceptibles de permettre le recueil dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Mais si le renseignement est ainsi l’œuvre de tous dans l’entreprise, il n’en reste pas moins un métier spécifique dont les méthodes et les outils doivent être respectivement théorisées et développés pour former tous les acteurs de l’entreprise au recueil de l’information utile, à la capitalisation des connaissances et au partage des savoirs en toute sécurité.
En toile de fond de ce même dispositif donc, la sécurité (protection du patrimoine immatériel de l’entreprise). Comme le renseignement, elle est l’œuvre de tous mais correspond à un vrai métier. Ce métier spécifique ne peut pas se confondre, on l’a vu, avec le renseignement qui couvre l’ensemble du spectre du traitement de l’information (de la maîtrise des sources à la diffusion), et correspond à des pratiques fondamentalement différentes.
Protection du secret et renseignement
Englober les métiers de la protection du secret dans la même enveloppe que les métiers du renseignement (gestion des sources, capitalisation et partage de l’information), au prétexte qu’ils ont tous deux une finalité stratégique, revient à gommer tout ce qui fait la spécificité de chacune de ces deux activités fondamentalement différentes, et à nier le professionnalisme de ceux qui les pratiquent. Cet amalgame est néfaste pour le renseignement et toujours dangereux pour la protection du secret.
L’information est en effet une "denrée" particulière, qui procède du partage dont elle s’enrichit, et se donne sans déposséder celui qui la détient (bien qu’en y perdant de sa valeur marchande). Dans un contexte conflictuel, compétitif ou concurrentiel, elle est stratégique lorsque la victoire en dépend. Elle devient alors un enjeu de puissance, et sa divulgation au parti adverse ruine la stratégie mise en œuvre pour gagner. Le partage (sans lequel l’information n’existe pas) et le secret (sans lequel il n’y a pas de stratégie) relèvent de deux cultures aux antipodes l’une de l’autre.
Comment demander à une seule et même discipline (la maîtrise de l’information stratégique) de promouvoir deux cultures aussi opposées pour satisfaire des impératifs (partage et secret) pourtant irrémédiablement complémentaires ? Ce paradoxe constitue probablement la difficulté la plus importante à vaincre pour traduire la politique publique d’intelligence économique en réalités opérationnelles efficaces. Sans prétendre apporter de solution miracle à ce problème complexe, on peut néanmoins remarquer qu’inculquer à un même individu deux cultures aussi contradictoires sera toujours, même si cela reste nécessaire ou indispensable, un défi contre nature, aux résultats incertains. Partant de ce constat peu encourageant, mais réaliste, la seule solution, pour garantir la complémentarité indispensable entre ces deux impératifs (partage et secret), paraît être de pousser jusqu’au bout le paradoxe : ce n’est qu’en établissant une distinction claire entre deux métiers s’attachant, l’un comme l’autre, à satisfaire séparément chacun de ces deux impératifs, que l’on peut parvenir à coordonner des pratiques qui resteront toujours antagonistes. A ces deux cultures opposées doivent correspondre des métiers différents, dont les interactions doivent être fortes et soigneusement réglées.
En sortie du dispositif enfin, la stratégie industrielle et commerciale, ainsi que toutes les activités nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel[8]. On a vu que dans tous ces métiers, les acteurs concernés sont à la fois clients et fournisseurs du renseignement et doivent être sensibilisés et formés à ses pratiques (esprit de curiosité, partage de l’information,..), de la même manière qu’ils sont aussi concernés par la sécurité et doivent être également sensibilisés et formés à ses pratiques (protection du secret, cyber sécurité,..). Notons là que, s’il est naturel que l’influence soit le troisième pilier de la politique publique d’intelligence économique, qui relève, dans notre monde globalisé mais malgré tout encore à peu près civilisé, de la diplomatie, il n’en est pas de même pour sa traduction en réalités opérationnelles dans l’entreprise. L’influence n’y est en effet, on l’a vu, qu’un client du renseignement parmi d’autres  (innovation, prospection commerciale, marketing,..). À cela, il faut ajouter qu’assimiler le lobbying privé à une fonction diplomatique d’influence pratiquée par l’État auprès d’un autre État ou d’une organisation internationale est une source de confusions donnant lieu à certains malentendus regrettables. On a en effet tous à l’esprit l’exemple de pays pratiquant dans certaines circonstances une diplomatie quelque peu "musclée" menant des "opérations" d’influence, de séduction ou de manipulation pouvant aller jusqu’à des manœuvres d’intimidation, voire de menaces, en ayant recours à l’espionnage, et il serait bien peu raisonnable de laisser croire à des opérateurs privés qu’ils pratiquent un métier comparable. C’est pourtant parfois le cas comme semble en témoigner l’exemple qui suit.
Propos d’un lobbyiste français *
Interview télévisée (extraits)
« Comment décrivez-vous le métier de lobbyiste ?
C’est un métier qui n’est pas un métier d’ange, nous sommes des professionnels du renseignement, ...
Vous êtes un peu espion alors ?
Pire, d’abord espion, mais après, manipulateur ! Mon premier métier c’est chasseur d’information, alors, le chasseur d’information, de temps en temps c’est un espion ...
Et ils vous apprécient les politiques ?
On est parfois un peu brutal, on utilise toute la gamme de l’influence, de la séduction jusqu’à la menace...
Ca ne risque pas de déraper ?
Il faut savoir qu’on joue un jeu et prendre un peu de recul... »
Commentaire
La première question était : « Pourquoi les lobbys sont-ils mal perçus ? » La réponse paraît limpide ! Elle n’est pas dans un prétendu mal français que dénonce par ailleurs notre "lobbyiste au franc-parler", mais bien dans l’aperçu qu’il nous donne de son métier (manipulation, espionnage, brutalité, menaces). À l’heure où l’on commence à réaliser l’importance de l’éthique en politique comme en affaires, de son impact sur l’opinion publique et de "l’influence" exercée par les opinions publiques sur les décisions politiques et économiques, il y a là, me semble-t-il un léger paradoxe. Si le but poursuivi par ce lobbyiste était de dénoncer, comme il le déplore, la "nullité" du lobbying français, il faut craindre qu’il y parvienne par son seul exemple ! Souhaitons seulement pour la profession que l’image qu’il en donne là n’en soit pas une fidèle représentation.
____________________
(*)  Son nom ne sera pas mentionné ici afin de ne pas stigmatiser quelqu’un dont on peut malgré tout espérer que le propos incomplètement reproduit et donc sorti de son contexte soit ainsi déformé au point de ne pas refléter très exactement la manière dont il conçoit son métier.
Le métier de lobbyiste n’est pas celui du renseignement, et son mélange avec une fonction dont le produit ne serait pas seulement le résultat de l’exploitation des informations, mais se confondrait avec celui de l’activité de services spéciaux, semble bien aventureux.
Propositions pour une relation apaisée entre intelligence économique et renseignement
Si l’on veut étendre au domaine économique une quelconque culture du renseignement, il semble clair, à la lumière de ce qui précède, qu’il est nécessaire de distinguer avec soin la politique publique d’intelligence économique, de sa mise en œuvre dans l’entreprise, qui repose sur la pratique du renseignement afin d’éclairer la décision de tous les acteurs susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs définis par l’entreprise…[9].
On peut alors proposer les définitions suivantes :
Pour une politique publique distincte de ses prolongements privés dans l’entreprise et la considération de leurs liens respectifs avec un renseignement débarrassé de tous les accessoires de la clandestinité propres aux missions régaliennes de sécurité nationale
L’intelligence économique est une politique publique au service de l’entreprise ayant pour objet la maîtrise de l’information stratégique utile aux acteurs économiques, pour noyau la construction d’une culture collective de l’information (veille), pour moyen d’action extérieur l’influence et pour finalité la compétitivité et la sécurité de l’économie et des entreprises. Elle se traduit dans l’entreprise par la mise en œuvre d’une fonction d’exploitation de l’information utile (renseignement) au service de la stratégie, la mise en place de mesures de protection du patrimoine immatériel (sécurité) et le recours à des actions d’influence (lobbying), activités qui peuvent attendre de sa part, sous différentes formes, des soutiens de nature méthodologique (formation) voire opérationnelle (interventions), sans toutefois pouvoir prétendre à l’utilisation des mêmes moyens qui relèvent exclusivement du domaine régalien.
Le renseignement d’entreprise est une fonction stratégique (connaissance et anticipation) d’exploitation de l’information utile, qui irrigue tous les services contribuant à sa compétitivité et s’alimente à la source de toutes les informations qu’ils sont en mesure de recueillir. Elle est au service de la stratégie de l’entreprise, dans toutes ses dimensions défensive (protection) ou conquérantes (innovation, prospection commerciale, influence,..), qu’elle se contente d’éclairer sans jamais s’y assimiler. Elle constitue ainsi le prolongement privé de la fonction stratégique "connaissance et anticipation" mise en œuvre par l’État, dans le cadre de sa politique publique d’intelligence économique, intervenant au titre de sa mission régalienne de sécurité nationale.
La sécurité du patrimoine immatériel de l’entreprise est un ensemble de mesures de sûreté ou de protection, adoptées par la direction, mises en place par des spécialistes de la sécurité privée (sécurité des systèmes d’information, protection du secret, protection du personnel, préservation de la propriété intellectuelle, …) et appliquées par tous. Elles constituent le dernier maillon à caractère privé de la chaîne de sécurité économique mise en place par les autorités de l’État, dans le cadre d’une politique publique d’intelligence économique, intervenant au titre de ses missions régaliennes (justice, police).
Le lobbying est un métier pratiqué au sein d’un cabinet de conseils, d’une entreprise ou pour le compte d’une fédération, d’une ONG ou d’une association visant à représenter des intérêts particuliers auprès du décideur public quelle que soit sa forme – parlement, collectivité, ministère, agence gouvernementale[10]. Il constitue le pendant privé de la politique d’influence menée par l’État, dans le cadre d’une politique publique d’intelligence économique, intervenant au titre de ses missions régaliennes (diplomatie).


[1]      DIA 2 : Doctrine interarmées du renseignement (2010) et AAP-6 : Glossaire OTAN de termes et définitions anglais et français, entrée « Renseignement / Intelligence »
[2]      Bernard CARAYON, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale (Rapport au Premier ministre), Juin 2003.
[3]      Bernard CARAYON, rapport d'information déposé par la Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan, La stratégie de sécurité économique nationale, Assemblée nationale, juin 2004.
[4]      Portail de l’IE, Les définitions de l’intelligence économique (Définition selon Bernard Carayon), Catégorie Fondamentaux, 19/01/13
[5]      Alain JUILLET (cité dans, L'intelligence économique appliquée à la Direction des Systèmes d'Information, rapport du Cigref, mars 2005).
[6]      Portail de l’IE, Les définitions de l’intelligence économique (Définition selon Henri Martre), Catégorie Fondamentaux, 19/01/13
[7]      Cf. définition selon Henri Martre.
[8]      Cf. définition selon Henri Martre.
[9]      Cf. définition selon Henri Martre.
[10]    Portail de l’IE, Lobbyiste, Catégorie Métiers de l’IE, 05/02/13

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