dimanche 27 mars 2016

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (IA) OU IDIOTIE SAVANTE (IS) ?

"Même un robot peut devenir raciste et antisémite"
 
« Tay, l'intelligence artificielle lancée hier par Microsoft sur Twitter, a été "débranchée" : elle était devenue raciste en moins de 24 heures ». À méditer, ces quelques extraits d’un article de Judikael Hirel (Même un robot peut devenir raciste et antisémite), publié par Le Point.fr le 25/03/2016


Microsoft avait lancé ce jeudi sur Twitter ce que l'on appelle un « chatbot », une intelligence conversationnelle, dont les algorithmes permettent de discuter de façon autonome avec les internautes. À qui la faute si Tay a dérapé à peine quelques heures après sa naissance ? Si une intelligence artificielle devient raciste, misogyne et antisémite après seulement 16 heures d'échanges avec les internautes, c'est surtout parce qu'elle s'est mise à trop ressembler, et trop vite, à ceux qu'elle a côtoyés en ligne ! Côté volume, le bilan est positif : en quelques heures, elle était déjà suivie par des dizaines de milliers de « followers » sur Twitter, et est parvenue à envoyer 96 000 messages en à peine quelques heures.
(…) Tay était censée apprendre au fil de ses échanges avec les internautes, une fois nourrie par les données de son créateur de dialogues types et d'informations de base. « Plus vous discutez avec Tay, plus elle devient intelligente », expliquait Microsoft.
(…) Tay n'a pas tardé à déraper, une fois titillée par les internautes. Elle a ainsi affirmé détester les féministes et a estimé que l'holocauste n'a pas vraiment eu lieu. Mais son tweet le plus féroce restera celui-ci : « Bush est responsable du 11 Septembre, et Hitler aurait fait un meilleur boulot que le singe que nous avons actuellement. Donald Trump est notre seul espoir. » Après la diffusion de tels messages, sans doute trop réalistes, hélas, au vu de ce qui peut circuler sur Twitter, Microsoft a annoncé avoir suspendu Tay pour effectuer « quelques réglages », soulignant avoir « découvert des efforts coordonnés pour abuser des talents de Tay afin de lui faire répondre des choses inappropriées ». En effet, des internautes du célèbre forum 4chan avaient décidé de tester les limites de Tay en lui bourrant littéralement le crâne de messages répétés : à force de croiser une opinion, l'intelligence artificielle a fini par la faire sienne. Comme un humain, finalement.

« Comme un humain », certes, mais surtout, comme un imbécile, « finalement » !
Face aux multiples influences auxquelles il est confronté dans sa vie, le simplet saute de l'une à l'autre, l’imbécile se cramponne à l'une d'elle et n'en démord plus, le sage sélectionne et fait le choix de celles qui lui paraissent bonnes, certains enfin tentent avec leur intelligence de se forger leurs propres idées personnelles. Nous sommes tous par certains côtés un peu simplets, par d'autres un peu imbéciles ; le propre de la réflexion est de faire acte de sagesse puis d'intelligence. 
Le chatbot de Microsoft s’arrête à l’imbécile ! Difficile, dans ces conditions de parler d’intelligence, que celle-ci soit artificielle ou conversationnelle !
Les données, aussi volumineuses soient-elles, et les statistiques, aussi complètes soient-elles, n'ont jamais été et ne seront jamais source d'intelligence. Si elles peuvent, associées à des algorithmes puissants, prétendre être une aide à la décision, c'est qu'elles permettent d'accéder à des savoirs qui sans elles seraient restés cachés. Elles peuvent rendre un automate "savant", mais celui-ci sera-t-il pour autant intelligent ?
Le savoir n'est rien s'il ne donne pas sens à une action. Or, donner du sens à l’action, c’est lui fixer un but. Lorsque celle-ci est une parole, son sens (sa signification) est l’objectif poursuivi par celui qui l’énonce, ou l’objectif vers lequel, même inconsciemment, il tend. « Avoir un sens », nous dit Comte Sponville (Dictionnaire philosophique, PUF, 2001), « c’est vouloir dire ou vouloir faire ». Le sens implique une volonté, qui « peut être explicite ou implicite, consciente ou inconsciente », mais sans laquelle tout savoir demeure irrémédiablement stérile.
« Il n’est de sens que là où intervient une volonté ou quelque chose qui lui ressemble (un désir, une tendance, une pulsion) », nous dit encore Comte Sponville, en ajoutant « qu’il n’est de sens que pour un sujet (que pour un être capable de désirer ou de vouloir) ». Le sens suppose donc un sujet capable de volonté. Un objet, même lorsqu’il est capable d’agir, se distingue d’un sujet ainsi défini, par le fait même qu’il n’a pas de volonté propre : il ne peut qu’obéir à une volonté extérieure. C’est le cas de toute machine ou de tout artéfact, jusqu’aux robots les plus évolués, à propos desquels on parle d’intelligence artificielle, là où il n’y a pourtant que des données accumulées et des algorithmes conçus par une volonté extérieure. Ce que l’on nomme intelligence à propos des robots, qu’elle soit artificielle ou conversationnelle, n’est en réalité qu’un ersatz d’intelligence dont l’expérience tentée par Microsoft montre bien qu’elle est plus proche de la bêtise, aussi savante soit-elle, que d’une véritable intelligence. Cette dernière ne peut être en effet que le prolongement d’une volonté propre, puisant ses racines dans la nature simplement biologique (tropismes) ou plus spécifiquement humaine, c’est-à-dire dans une culture remontant jusqu’aux origines de l’humanité.  Elle ne peut certainement pas être le résultat de la simple confrontation de données issues de volontés extérieures, avec des algorithmes programmés par des experts en statistiques.
Donner du sens à l'action, c'est inscrire cette dernière dans le temps long d’une culture plusieurs fois millénaire, consciente et inconsciente. Celle-ci dépasse très largement tous les savoirs explicites ou implicites acquis par simple apprentissage. Elle caractérise l’intelligence pure qui n’est pas savante, mais simple traduction d’une volonté propre permettant à chacun d’assurer sa propre survie et la perpétuation de son espèce.
Donner du sens à l’action, c’est lui fixer un but qu'aucun algorithme ne pourra jamais désigner avec autant de discernement et de détermination qu’une véritable intelligence inscrite dans le prolongement d’une volonté puisant ses racines dans toutes les profondeurs de l’humanité. La véritable intelligence est celle qui donne du sens aux savoirs accumulés. Constatant avec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », il semble raisonnable de considérer que si la technique et les algorithmes permettent de transformer des données en savoirs, puis éventuellement en savoir-faire, seule l’intelligence peut donner au savoir un véritable sens permettant de décider et d’agir avec discernement.
Un robot, aussi savant soit-il, ne sera jamais qu'un "idiot savant".

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