Le cycle de l’information et la capitalisation des connaissances, au service de la
fonction stratégique « connaissance et anticipation » : étude théorique, développements
méthodologiques et applications pratiques du concept de banque de connaissances.
fonction stratégique « connaissance et anticipation » : étude théorique, développements
méthodologiques et applications pratiques du concept de banque de connaissances.
C'est sous ce titre et sous-titre que j'ai théorisé toute mon expérience de l'exploitation du renseignement, dans une thèse soutenue il y a un peu plus d'un an pour obtenir le grade de Docteur de l'Université Polytechnique Hauts-de-France (laboratoire DeVisu), en Sciences de l'Information et de la Communication. L'ouvrage complet ainsi qu'une vidéo de ma soutenance sont accessibles à partir de l'onglet "Mes publications" de ce blog. Je vous livre ici un résumé de 4 pages (également accessible à partir de l'onglet "Mes publications" / Thèse / Résumé long) réalisé après relecture plus d'une année après sa publication.
Afin de légitimer une
approche des systèmes d’information plus documentaire que technologique bien
peu en accord avec l’air du temps, le besoin impérieux s’est fait ressentir,
après une longue pratique professionnelle de l’exploitation du renseignement,
de faire appel aux fondements théoriques de la fonction renseignement et de son
exploitation. Là où l’époque moderne semble n’envisager le progrès qu’à la
lorgnette des capacités quasi infinies de la technologie, l’approche adoptée,
qui se fonde sur des millénaires d’expérience du medium documentaire, se
veut résolument innovante. Elle est en effet encore trop peu reconnue pour être
mise en œuvre à grande échelle de manière opérationnelle par le renseignement
ou toute autre organisation confrontée au difficile problème de maîtrise d’une
information devenue surabondante. Dans notre société dite "de
l’information", l’exploitation du renseignement est au cœur des
bouleversements qui semblent ne pas cesser d’agiter la discipline consacrée à
la maîtrise de cette matière première essentielle.
Après un premier état des
lieux s’appuyant sur un aperçu des enjeux du renseignement tout au long de
l’histoire, l’impact du nouvel environnement stratégique, technologique et
culturel sur son exploitation est passé en revue. L’évolution de ces enjeux à
l’ère de "l’infoculture" industrialisée dans laquelle baignent nos
sociétés démocratiques et leurs outils militaires en perpétuelle mutation,
impose en effet d’envisager de nouvelles méthodes de travail destinées à
adapter les grands principes de l’exploitation façonnés et polis à l’épreuve de
l’histoire. La discipline repose sur l’organisation dynamique de connaissances
partagées en réseau, dans une mémoire dont le fonctionnement impose un jeu
collectif qui doit s’accompagner d’un véritable changement de paradigme à la
fois scientifique et stratégique permettant de renouer avec l’anticipation
indispensable à l’action.
Dans un contexte de
révolution culturelle et cognitive qui caractérise notre époque, la
communication prend le pas sur le secret, dans un cycle du renseignement
nécessairement modernisé, plus attaché à la prévention qu’à l’intervention. L'indispensable
adaptation de ce cycle au suivi en temps réel d'une information numérique effroyablement
versatile, et en particulier à la maîtrise de ses modes de capitalisation et de
communication, doit s'appuyer sur une base théorique solide à laquelle les
sciences de l'information et de la communication peuvent apporter tout le
soutien d'une discipline universitaire reconnue. À l’ère de l’information suivant
celle de l’industrie, il ne suffit plus de s’abriter derrière la ligne Maginot
de monuments de doctrine toujours contournés par une réalité aussi têtue qu’en
perpétuelle mutation.
Mise en péril par la
surabondance et l’immédiateté de l’information, la fonction d’exploitation du
renseignement redevient de facto, alors que la stratégie doit renouer
avec une tradition préventive un temps confisquée par l'affrontement massif et
brutal des armes, une fonction essentielle à laquelle il faut consacrer tous
nos efforts pour accompagner sa métamorphose dans un environnement
technologique en plein boom. Face à une théorie trop négligée, que les études
sur le renseignement actuelles ont limitée aux aspects institutionnels,
historiques, politiques, juridiques ou encore technologiques, du renseignement diplomatique,
militaire ou policier, un état des lieux scientifique et stratégique s’imposait
avant d’aborder de plain-pied l’étude théorique de l’exploitation du
renseignement.
Le regard théorique qui
se veut innovant, s’avère délibérément plus analogique, à l’image de la pensée
et de la langue qui la porte, que numérique, à l’image du calcul et des
algorithmes qui le servent. Il s’attache tout d’abord à préciser un objet de
recherche dont la portée est aussi vaste que celle de la révolution numérique qui
bouleverse nos modes de partage des connaissances et de diffusion des savoirs,
et à laquelle l’exploitation du renseignement doit s’adapter sans toutefois s’y
noyer. L’exemple économique est abordé pour noter qu’il peut inspirer le
renseignement militaire, et en même temps s’en inspirer, à condition de
respecter certaines conditions que seules des définitions précises des
différentes fonctions à l’œuvre dans chaque domaine peuvent rendre possible.
Pour mettre de l’ordre
dans l’Empire, il faut, nous dit
Confucius, commencer par mettre de l’ordre dans les dénominations. Cette
sage admonition s’applique aussi bien aux rapprochements entre économie et
stratégie, qu’aux travaux scientifiques ou à l’exercice de toute activité ou
métier spécifiques. Le premier effort théorique qui précède nos développements
méthodologiques repose donc sur une succession de définitions qu’un glossaire
en fin d’ouvrage récapitule. Renseignement et intelligence, données, savoir et
connaissance, document, information et action sont autant de concepts que l’on
manipule quotidiennement et dont on observe la traduction concrète dans la
réalité. Il est indispensable d’en préciser les contours, pour en organiser la
pratique et en décrire les techniques, ou les savoir-faire associés, destinés à
en garantir l'efficacité.
Pour concevoir une telle
organisation fonctionnant avec toute la réactivité imposée par la fugacité de
plus en plus grande de l’information, il a fallu s’intéresser à la construction
de sens dans une mémoire partagée, entièrement mue par un besoin collectif de
savoir qui la conditionne. Des données au savoir, c’est le processus de
construction de sens dans la mémoire qui est interrogé, en mettant à profit la
notion d’épistémè pour distinguer information et donnée qui sont un même objet
correspondant à deux points de vue différents, celui de la langue qui est
analogique et celui du calcul qui est numérique. Afin d’assurer la
complémentarité indispensable de ces deux visions, la frontière entre données
et connaissance est ainsi délibérément soulignée, et approfondie, en s’appuyant
sur le modèle aristotélicien d’épistêmê choisi pour guider nos
observations théoriques et leurs applications pratiques. Dans l’esprit de
l’épistémè théorisée par Michel Foucault, ce modèle aristotélicien incite
utilement à envisager une période "post-moderne" qui redonnerait à la
méthodologie et à l’homme qui la met en œuvre, toute sa place aux côtés de la
technologie numérique qui domine la période moderne.
Le document "électronique",
adjectif préféré à "numérique" afin de se démarquer de l’emprise des
algorithmes, est amené à y jouer tout son rôle, qui est essentiel dans le
processus de construction de sens à l’œuvre dans un système d’information. Considérant
que c'est à l'outil de s'adapter à la méthode et non l'inverse, le recours
systématique à l'informatique et aux bases de données relationnelles a été mis
de côté au profit d'une approche plus méthodologique des moyens, pour organiser
le système d’information et sa mémoire centrale, et soutenir ainsi le travail
d'exploitation. De même que l’intelligence et la pensée individuelle reposent
sur la mémoire déclarative et un langage qui l’organise, l’intelligence et la
pensée collective reposent sur une mémoire collective et un langage commun qui
l’organise. Dans notre système d’information, cette mémoire et ce langage sont
documentaires. Mémoire collective et langage commun sont en effet fortement
touchés par les évolutions du document support du discours, et trait commun de
ces trois révolutions culturelles et cognitives identifiées par Michel Serres,
avec l’invention de l’écriture, puis celle de l’imprimerie et enfin celle de
l’électronique.
Notre système
d’information s’appuie donc sur la mise en œuvre d’un langage documentaire,
accessible et pratiqué par tous au sein de la communauté à qui il s’adresse.
Celle-ci peut alors se rassembler pour communiquer et agir collectivement comme
un peuple se rassemble autour de sa langue (le verbe), instrument collectif de
l’expression de la Pensée. La cohésion des actions individuelles y est assurée
en s’appuyant sur la synergie des intentions qui orientent l’action collective
et lui donnent ainsi tout son sens. Le système est ainsi conçu comme une
mémoire collective à l’usage d’une communauté professionnelle ou d’une
collectivité réunie par l’exercice d’une fonction commune, administration,
entreprise ou toute autre entité consacrée à la pratique d’activités concourant
à la réalisation d’un objectif commun, c’est-à-dire mue par une intention
commune envers les objets avec lesquels la situation la met en relation.
À l’image de notre pensée
percevant son objet au travers d’une grille conceptuelle déterminée par la
situation qui la met en relation avec lui et par notre intention envers lui, ce
système s’organise autour d’une grille conceptuelle déterminée par la situation
qui met la collectivité en relation avec son objet d’intérêt et par son
intention envers lui. En regard de la complexité illimitée de son objet, cette
pensée collective peut être aussi simple que notre pensée, essentiellement
pratique et orientée vers l’action. La méthode d’élaboration et le
développement d’une intelligence collective qui est proposée, passe par une
planification dynamique de l’activité documentaire du groupe. Elle suit, à
cette fin, les grands principes d’élaboration d’une mémoire documentaire
partagée, pratiqués pendant de longues années de manière opérationnelle par des
analystes d’un grand organisme d’exploitation du renseignement, et que ce
travail de thèse a voulu théoriser.
La mémoire collective y
est organisée selon une logique naturelle puissante qui permet la maîtrise par
tous d’un langage documentaire commun, en s’inspirant de la hiérarchie
naturelle de nos sens et du fonctionnement analogique de notre pensée,
permettant ainsi à tout un chacun d’accéder à ce langage commun, aussi
facilement qu’un enfant de 3 ans accède à sa langue maternelle. Sa grammaire est
dite sémantique parce qu’on y fait intervenir des sujets et des objets de
représentation qui sont respectivement organisés par les sens et déterminés par
le sens que l’intention commande. Il ne s’agit pas là de s’appuyer sur une
ingénierie destinée à perfectionner le travail de moteurs de recherche en
langage naturel sur des réseaux accumulant des données de toutes sortes, mais bien
d’organiser l’activité documentaire d’une communauté professionnelle afin
d’éclairer la fonction qui fonde cette collectivité à partir d’un besoin avéré
de sens qui l’anime en lui donnant sens.
Le système d’information proposé
repose donc sur un plan de classement qui ne se veut pas seulement un cadre
d’archivage, mais surtout et avant tout un cadre ouvert de planification de
l’activité documentaire de la collectivité, qui doit en permanence pouvoir
s’adapter à des thématiques en constante évolution. L’utilisateur ne doit pas
se contenter d’y classer et d’y archiver ce qu’il voit, mais plutôt s’en servir
de guide pour rechercher ce qui doit être exploité, classé et archivé. Pour ce
faire, le plan de classement décrit utilise un mode de classification qui
repose sur une grammaire organisée par une syntaxe verticale de subordination
entre sujets, doublée, à chaque niveau de la hiérarchie, d’une sémantique
horizontale de focalisation sur des objets ciblés pour faire sens au regard de
la fonction commune et du besoin qui l’anime.
Notre langage
documentaire s’organise ainsi à partir d’une planification collective de
l’activité documentaire du groupe à l’aide d’une grammaire du sens (ou
sémantique) que l’on dira "générative" au sens de Chomsky (pour un
usage infini de moyens finis), permettant une catégorisation et une
indexation analogiques des contenus dans une mémoire partagée, dont il faut souligner
le caractère évolutif à l’infini. Cette organisation s’inspire de celle de la
langue dans notre mémoire, dont on peut considérer qu’elle se réalise à partir
d’une planification mentale de notre activité verbale réalisée par la
grammaire. Elle en observe l’aspect à la fois sémantique porté par une
catégorisation/indexation analogique des concepts, et génératif qui permet une
évolution infinie des catégories/index, donc du discours et de la pensée collective
qu’il guide, en même temps qu’il permet sa communication.
Bien que relevant de
méthodes paraissant appartenir au passé, le mode de classification choisi et le
langage documentaire associé, dont la grammaire se veut "universelle"
au sein d’une communauté professionnelle réunie autour d’un besoin de sens lié
à sa fonction, sont résolument innovants. Une telle prétention d’universalité,
modestement limitée néanmoins à une communauté de besoin, s’avère en effet
aussi ambitieuse qu’indispensable pour assurer le jeu collectif par des
pratiques communes et permettre ainsi une planification efficace de l’activité
documentaire du groupe, répondant à un besoin avéré de sens pour éclairer
l’exercice de la fonction qui détermine son domaine d’intérêt.
Notre grammaire, qui est un ensemble de règles, au moyen
desquelles les documents sont groupés dans un système de classification, comme
les mots le sont dans une langue naturelle, de manière à concourir à l’unité
d’un sens, repose sur une hiérarchie analogique des sens. Celle-ci organise les
itérations de la perception dans la mémoire et guide l’organisation de notre
système d’information permettant ainsi le fonctionnement collectif itératif du
cycle du renseignement.
Les applications pratiques de la méthodologie développée
au cœur de ce travail et représentée par le concept d’armoire électronique
utilisé pour l’exploitation du renseignement, peuvent s’étendre à bien d’autres
domaines, jusqu’à celui de la recherche scientifique. Les analogies entre
exploitation du renseignement et exploitation de la recherche, ou entre domaine
stratégique et domaine scientifique, peuvent en effet être détaillées. Elles
sont utilisées pour établir, à titre d’exemple, un modèle de planification
documentaire relatif à une entité stratégique comme un État-nation sur lequel
il convient de se renseigner, comparé à une entité scientifique comme une
discipline/métier que l’on veut étudier.
Aborder une énième théorie du renseignement par le
prisme d’une théorie de l’information qui emprunte plus au vaste domaine
pluridisciplinaire des sciences humaines et des sciences de l’information qu’à
celui des mathématiques et de l’informatique, constitue sans doute une démarche
peu orthodoxe dans un univers économique et industriel qui réduit la notion de
système d’information à sa dimension technologique en l’assimilant à celle de système
informatique. Pourtant, cette approche originale est indispensable tant le
besoin en matière d’exploitation demeure criant. Ce travail de thèse fondé sur
une expérience professionnelle ponctuellement réussie, bien que peu suivie par
une administration trompée par le mirage d’une technologie omnipotente, n’est
qu’un premier pas pour la conception d’un véritable système d’information
adapté aux besoins de l’exploitation du renseignement ou de l’information de
toute nature.
Ses résultats sont décrits pour tenter de les
pérenniser, dans l’idée d’en élargir la portée et d’en promouvoir l’usage chez
d’autres professionnels aux besoins analogues, dans des domaines différents
comme celui de la recherche scientifique, mais aussi de l’économie voire même
de la politique au sens d’Aristote qui associe politique et éthique. C’est là
toute l’ambition qui continue d’animer mon travail, quelles que soient les
suites qui pourront être données à cette première étape de formalisation
académique.
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