Les mots sont, dans le dictionnaire, comme des
amers portés sur la carte marine, des repères qui permettent de naviguer sur le
vaste océan des idées. Comme eux, ils doivent s'identifier avec précision aux
objets conceptuels qu'ils désignent sur les rivages de l'esprit. Sans la
discipline de cet exercice d'identification rigoureux, nul ne peut espérer arriver
à bon port et atteindre les lumières de la connaissance en évitant les écueils,
dangers et autres sirènes dont sont pavées toutes les aventures de la pensée
humaine. La conception de systèmes d’information n’échappe pas à l’exercice préalable
de cette discipline, avec toute la rigueur qui doit s’appliquer à un véritable
travail scientifique.
La question qui se pose aux concepteurs de systèmes
d’information et de communication, peut se formuler de la manière
suivante : « comment faire pour réaliser des systèmes d’information
adaptés aux besoins opérationnels de leurs utilisateurs, en brisant les
cloisons de verre qui demeurent entre experts métiers et experts systèmes et
freinent trop souvent la conception de systèmes efficaces ? ».
L’objectif du projet étant ainsi posé, il reste à en délimiter le périmètre.
S’agissant d’un système d’information et de communication, on a vu en
introduction l’importance de cette deuxième jambe de l’InfoComm qu’est la
communication, comme de son outil méthodologique pour le passage de l’implicite
à l’explicite et de son outil technologique que demeure le document désormais
électronique.
Périmètre
On parlera donc de pratique documentaire pour
désigner cette alliance instrumentale entre méthodologie et technologie
au service de la communication. Elle repose sur le traitement des
données accumulées dans des systèmes numériques de gestion de bases de
données assimilables à une mémoire implicite, mais elle ne peut délivrer
un produit de l’intelligence que grâce à l’exploitation collective de la
connaissance qui s’en dégage (l’in-formation), conçue dans des systèmes électroniques
de planification de l’activité documentaire, assimilables à une mémoire
explicite. Mais avant de s’intéresser à ce passage de l’implicite à
l’explicite, qui est indispensable à la communication, et demeure une
barrière difficile à franchir entre data et connaissances
dans les systèmes d’information traditionnels, il est important de fixer le vocabulaire,
en s’appuyant sur le modèle aristotélicien (épistêmê et endoxe)
que nous avons choisi pour guider nos observations théoriques et leurs
applications pratiques. Il s’agit tout simplement de préciser les contours
des concepts que l’on manipule et dont on observe la traduction concrète
dans la réalité, pour en organiser la pratique et en décrire les
techniques, ou les savoir-faire associés, destinés à en garantir
l'efficacité.
Données, connaissance, savoir, information
À l’image de la décomposition des data en big
data, smart data et thick data, dans des systèmes numériques
assimilés à la mémoire implicite, le terme générique d’information (désormais
numérique) se décline donc en donnée, connaissance puis savoir, avec pour
support, le document (désormais électronique). S’agissant de termes d’usage
particulièrement courant, leurs différentes acceptions sont multiples quand on
puise dans une littérature balayant l’ensemble des disciplines qui en ont
l’usage, du droit à la physique en passant par l’informatique et la
cybernétique. Pourtant, ce sont les piliers fondamentaux d’une science (les
sciences de l’information et de la communication) dont les développements
pratiques doivent pouvoir s’appliquer à tous les secteurs d’activité et à tous
les usages. Tous les secteurs d’activité sont amenés à traiter de l’information,
et les usages qui en sont fait, du recueil des données à la transmission
des savoirs, en passant par l’acquisition, la capitalisation et le
partage des connaissances, peuvent obéir aux mêmes règles générales. Sans
accord sur les définitions, il y a là, une deuxième barrière qui
s’oppose à la conception de systèmes d’information et de communication véritablement
efficaces, en empêchant les usagers de secteurs d'activité divers et variés de
s’entendre entre eux et avec les concepteurs de systèmes, dans une même
langue partagée par tous.
Définitions
Les définitions qui suivent doivent donc être
considérées comme des hypothèses de travail clairement établies afin d’assurer
aux énoncés méthodologiques qui se dégagent de nos observations,
l’intelligibilité nécessaire à leur compréhension, à la pertinence de leurs développements
pratiques et au caractère innovant de leurs applications. Elles ne
sont pas incompatibles avec les définitions communément reconnues dans la
littérature relative aux sciences de l’information et de la communication
ou à la gestion des connaissances, mais elles leur apportent des compléments ou
des précisions utiles réalisées dans le seul souci de faire progresser la
science en innovant, afin de mieux répondre aux besoins toujours
très forts des usagers, et pourquoi pas de refonder l’édifice sur des
définitions correspondant mieux à leurs points de vue.
Tout dépend en effet du point de
vue de celui qui manipule ces concepts en fonction de ses besoins,
c’est-à-dire, de son activité :
-
Celui qui envisage ces concepts de manière globale
et neutre, parlera d’information, afin par exemple, de désigner la discipline
qui les régit et les englobe tous.
L’information,
c’est une image (ou la trace) de la manifestation concrète d’un fait
dont elle est indépendante. C’est une trace (ou forme) sensible ou perceptible,
visuelle (image ou graphisme), tactile, gustative, auditive ou olfactive
de la réalité observable (un fait, événement, phénomène ou simple état). Elle
se dissocie de la manifestation concrète de cette réalité dont elle emporte une
représentation abstraite. C’est à la fois un objet physique (forme sensible) et
un concept immatériel (abstraction). Elle est physiquement indépendante de la
manifestation concrète du fait (la réalité observable) dont elle est
néanmoins le reflet conceptuel que l’on souhaite le plus fidèle possible.
Selon l’utilisation qui en est faite, elle peut être tour à tour, donnée,
connaissance ou savoir.
- Celui qui cherche une solution à un
problème qui se pose à lui, parlera de données.
La
donnée, c’est une information qui entre dans le système (la mémoire), quelle que soit sa forme sensible
(image, contact, saveur, son ou odeur). C’est une observation choisie ou
sélectionnée avec discernement, parce qu’elle est susceptible d’être un
paramètre d’une équation dont la résolution est nécessaire à la pratique
d’une activité déterminée. Elle participe à la solution d’un problème
lié à cette activité.
- Celui qui, en lien avec cette activité, cherche
à comprendre son environnement parlera de connaissance.
La
connaissance est une information mémorisée donc interprétée. Un lien a été
établi entre la « trace » (ou l’image observée) et la manifestation concrète
du fait qu’elle représente. C’est une étape de la trans-formation d’une
in-formation par l’intelligence (une lecture) correspondant à la mémorisation.
Une même information pouvant donner lieu à plusieurs lectures, elle peut
engendrer un ensemble de connaissances différentes, voire contradictoires. La
co-nnaissance est une com-position réalisée par intégration (ou genèse) de
savoirs élémentaires (des données sélectionnées), permettant d’établir entre
eux un lien qui les fédère en leur donnant un sens nouveau, engendrant ainsi un
nouveau savoir.
- Celui qui veut agir ou décider dans
l’action parlera de savoirs.
Le
savoir est un enregistrement de l’effet produit par un signal sur un
sujet dans sa mémoire, qu’il soit ou non suivi d’une réaction apparente.
Le mot vient du latin sapiō, sapis, sapere « avoir du
goût, du discernement » (en parlant des gens). D’où la notion de
discernement, que l’on retrouve dans celle de sens, « puissance
innée de discernement » chez Aristote. Le savoir se situe à l’étape de la
transformation suivant la connaissance, qui correspond à une appropriation
c’est-à-dire à un effet produit sur un sujet, qu’il soit ou non suivi d’une
réaction apparente.
À noter qu’on se place ici d’une manière très pragmatique, du point de vue de
l’usager, celui qui a besoin d’information pour mener à bien
son activité, le data
manager en quête de solution
aux problèmes qui se posent à lui, le knowledge manager en quête de connaissances nécessaires à la compréhension
de son environnement ou le décideur en quête de savoirs utiles à l’action, ou bien encore, le scientifique
à la recherche d’observations pertinentes qu’il sélectionne avec discernement,
pour agir avec méthode et créer avec habileté des produits qui répondent aux
besoins des data managers, des knowledge managers et des
décision makers. Une
approche user centric en quelque sorte, pour sacrifier à la
mode de l’anglais dominant le vocabulaire des nouvelles technologies de
l’InfoComm.
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