vendredi 22 mai 2020

Introduction à la conception de systèmes d'information

Le post qui suit réunit en un seul bloc les cinq vidéos qui précèdent

1. Science sans conscience

S’intéresser aux systèmes d’information, c’est s’interroger sur le lien entre technologie et méthodologie. Ce lien est de même nature que celui qui unit chiffre et verbe, métriques et valeurs, calcul et logique, data et media (en bon français, données et document ou, plus largement, plate-forme de données et centre de documentation), ou bien encore transformation numérique et transformation analogique. Comme science et conscience, ce sont sans aucun doute des objets bien distincts, mais parfaitement complémentaires : les premiers sans les seconds ne seront jamais que ruine de l’âme.
Parmi tous ces couples d’objets qui, comme science et conscience, se déclinent avec celui qui nous préoccupe, unissant technologie et méthodologie, il en est un qui doit retenir toute notre attention pour le système d'information, c’est le couple données - documentation.

2. Média, documentation et communication

C’est faute de reconnaître le rôle majeur de la documentation dans l’organisation de nos systèmes d’information ingérant massivement des données de toutes sortes,    que l’on a tant de mal à exploiter les contenus de plus en plus hétérogènes de silos de données inopérants ou de data hub terriblement complexes à gérer. Si les progrès de l’informatique et de l’intelligence artificielle peuvent laisser espérer de grandes améliorations en matière de traitement des données de masse emmagasinées dans des data hub,       ces plate-formes de données,  privées de l’indispensable médiation d’un véritable support documentaire opérationnel, ne pourront jamais prétendre au statut de système d’information. Pour être véritablement efficace, ce dernier doit en effet pouvoir se comporter au sein de l’entreprise ou de toute autre organisation collégiale, comme une mémoire collective dont l’animation est assurée par chacun de ses membres exploitant dynamiquement une documentation vivante. La technologie qui a fait évoluer le document tout au long de l’histoire, de l’individuel au collectif, l’a en effet, plus récemment, fait évoluer du statique au dynamique. De l'argile dont étaient faites les tablettes sumériennes, à l'électronique qui remplace désormais le papier comme support, les contenus se sont diversifiés depuis les premiers pictogrammes de la région de Sumer, pour s'élargir au cours du siècle dernier aux sons et aux images, qui s'ajoutent aux textes désormais numérisés comme eux sur un même média électronique bien plus vivant que le papier.
L'activité documentaire d'une collectivité, désormais facilitée par la dissémination et la convivialité des outils numériques, ne doit plus être aujourd'hui réservée aux seuls professionnels de la documentation. Elle peut et doit être planifiée au sein du groupe pour permettre à l'ensemble de ses acteurs de l’exploiter de manière dynamique dans un véritable système d’information conçu pour acquérir et capitaliser dynamiquement des connaissances. Les documents y sont collectés, sélectionnés, puis regroupés et organisés, pour présenter leurs contenus, soit de l'information ou des données contextualisées et mises en perspective, c’est-à-dire exploitées. Exploiter des données, c'est les enrichir, leur donner du sens, leur apporter une valeur ajoutée, et permettre ainsi de partager une information pertinente sur des sujets en perpétuelle évolution, dans le but d’élaborer des savoirs dynamiques communs, favoriser les échanges et émettre collectivement de nouveaux documents porteurs de données nouvelles, de recommandations, d’avis ou de décisions éclairées. Notre mémoire collective n’est pas qu’un système d’information. Il est indissociable de la notion de communication que l’on retrouve dans le nom de la discipline dont relèvent mes travaux de recherche (les Sciences de l’Information et de la Communication).

3. Système d’information, épistêmê, mémoires implicites et explicites

Un système d’information, c’est une boîte, traversée par une flèche.
Tout commence par cette flèche du sens qui, partant de l’observation des faits (la réalité), aboutit à la création d’objets (une activité). Pour les spécialistes des systlèmes de données (ou data), elle passe par une mise en forme (in-formatique), qui se réalise dans une mémoire informatique et trans-forme, des big data (données de masse), en smart data (données pertinentes ou raffinées), puis en thick data (données consistantes ou substantielles). Pour les spécialistes des systèmes d’information, elle passe par une mise en forme (l'in-formation), à bien distinguer de la précédente mise en forme (l'informatique). Elle se réalise dans une mémoire collective et transforme des données en connaissances, puis en savoirs.
Cette représentation schématique du fonctionnement de la mémoire, c’est tout l’enseignement de l’épistêmê d’Aristote dont je crois utile de reconnaître l’immense portée. Elle va en effet bien au-delà du simple fonctionnement de notre mémoire individuelle (la fonction cognitive explicite dont traite Aristote, transformant des données en connaissances puis en savoirs). Une telle représentation de la connaissance à l’œuvre dans nos mémoires explicites, peut en effet nous aider à concevoir, sur le même modèle, qui est aussi celui du fonctionnement naturel de nos mémoires implicites, de véritables systèmes d’information adaptés, aussi bien au traitement des data (l'implicite), qu’à celui des connaissances et du savoir (l'explicite). L’objectif de tels systèmes serait de permettre le fonctionnement de mémoires partagées pour l’exercice de différentes formes d’intelligence collective au service de différentes « maisons communes » (ou écosystèmes), dans toutes sortes de fonctions, stratégique, économique, scientifique, voire même politique au sens d’Aristote qui associe politique et éthique.
Cette épistêmê aristotélicienne puise toute sa force dans sa vertu première, l’intelligence.
La « co-nnaissance », au sens de l’épistêmê d’Aristote associée au noûs, est la genèse d’une représentation « co-ordonnée » du réel, mise « en forme » par « con-struction » de sens dans une mémoire organisée.

4. Sens et intelligence

Comment faire pour organiser cette mémoire partagée qui fait tout le système d’information ?
Le sens, c’est un triptyque. À partir de la réalité, …des faits sont observés par des capteurs (capteurs électroniques de tous types pour les data, les 5 sens pour notre fonction cognitive explicite, + l’intuition qui en fait auparavant la synthèse, dans une première mémoire implicite). Ce sont les données du problème que le système a pour fonction de résoudre. Pour un système de données (ou data system), qui peut prendre pour modèle notre fonction cognitive implicite, la solution du problème est calculée par des algorithmes. Les données en entrée sont traitées en suivant le sens de la flèche (panneau central du triptyque), avec finesse (ce sont des smart data sur le modèle des connaissances tacites), pour donner corps ensuite à une solution dont la signification (troisième panneau du triptyque) fait toute la consistance (les thick data sur le modèle des savoir-faire, qui engendrent un signal). Pour le système d’information qui prend pour modèle notre fonction cognitive explicite, la solution est le fruit d’un raisonnement logique. Les données sont exploitées en suivant toujours le sens de la flèche avec intelligence (ce sont des connaissances explicites) pour donner corps à une solution dont la signification est un savoir explicite exprimé par un signal.
Cette intelligence, au sens de la Logique d’Aristote qui s’intéresse à la transformation des données en connaissances puis en savoirs dans la mémoire explicite, commence par une capacité de discernement, sagesse théorique, associée à l’observation. Elle se prolonge avec méthode, sagesse pratique, sagacité ou prudence, dans l’action, et s’accomplit enfin avec habileté, sagesse poétique, art ou façon, associée à la création.

5. Endoxe, méthodologie et technologie

C’est ici qu’intervient l’endoxe, la doxa chez Aristote, qui est une idée partagée par tous (ou la plupart) parce qu’elle répond à une attente générale des sages. Elle vient compléter le dispositif pour refermer la boucle et relancer une observation lorsque le savoir ainsi conçu ne répond pas suffisamment à l’attente. L’observation des faits est ainsi orientée dans un cycle continu, par l’intention, une envie, un intérêt ou un besoin, partagé par tous (ou la plupart), qui fait sens. C’est cette endoxe qui oriente les capteurs et donne son sens à l’action. C’est elle qui donne du sens aux données (les data), et à la fonction statistique qui en assure la collecte. C’est elle ensuite, qui donne son sens à la fonction cognitive permettant le passage de l’implicite à l’explicite ou des data à l’information (données, connaissances et savoir). C’est elle enfin, qui donne tout son sens à cette fonction documentaire dont il faut rappeler le rôle essentiel dans l’organisation de nos systèmes d’information.
La fonction documentaire, fonction à vocation collective de transport de sens, c’est cette fonction d’agrégation des données substantielles en environnement numérique comparable à celui de nos mémoires implicites, ou d’agrégation des savoirs en environnement analogique comparable à celui de nos mémoires explicites. Cette fonction est aujourd’hui à la peine, dans un espace-temps de plus en plus contracté par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication dont les sciences du même nom, les Sciences de l’Information et de la Communication, ont bien du mal à dompter les flots tumultueux. Dans « Information et Communication », il y a « Communication ». Se limiter au traitement des data et à la seule technologie numérique, c’est se condamner à rester dans l’implicite, c’est-à-dire se priver de l’explicite et donc, d’une certaine manière, abandonner cette deuxième jambe de l’InfoCom qu’est la communication. L’outil méthodologique de la communication, c’est cette endoxe, néologisme construit par opposition à la notion de paradoxe (ce qui va contre l’attente générale). Il indique une idée partagée par tous en raison du sens que lui procure l’attente générale, et assure le passage de l’implicite à l’explicite, des big, smart, puis thick data, aux connaissances puis aux savoirs explicites. C’est un outil de partage. L’outil technologique de la communication, qui vient compléter l’endoxe et l’outil méthodologique, en lui succédant, sûrement pas en le précédant, c’est la documentation. L’activité documentaire doit être ainsi considérée comme une pratique collective courante fondamentale, accessible à tous, et dont la maîtrise par tous conditionne l’organisation du système d’information envisagé comme une mémoire collective, c’est-à-dire, adaptée au partage de l’information (la communication).

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