dimanche 4 février 2024

de l'Europe (T34)

« Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain. » (Jean Monnet, Mémoires, Fayard, Paris, 1976, p.617).

L’Europe, l’Europe, l’Europe… oui, mais c’est quoi au fait, l’Europe ? Un pays, mais alors quelles frontières ? Un empire, mais alors quelle autorité souveraine légitime ? Une nation, mais alors quelle expression politique ? Un État, mais alors quel chef ? Un peuple, mais alors quelle manifestation de son unité ? Une ethnie alors, mais quelle langue commune ? Une étape vers les formes d’organisation du monde de demain, mais alors quel régime politique précurseur du gouvernement du monde imaginé par Jean Monnet lui appliquer, l’aristocratie démocratique soumise à la puissance américaine dans laquelle l’Europe semble s’être engagée depuis le traité de Lisbonne ou une sorte de monarchie républicaine d’inspiration française capable de rassembler des nations pleinement souveraines sous la protection ultime de la seule dissuasion indépendante disponible en Europe ?

On peut toujours sauter comme un cabri sur sa chaise à propos de cette Europe dont on nous rebat les oreilles à l’heure où se profile à l’horizon l’échéance électorale du printemps prochain, mais tant qu’on ne se sera pas prononcé sur la nature véritable de cet objet politique mal identifié encore en construction, cette élection demeurera la plus grande supercherie démocratique que les peuples aient jamais connue. L’ampleur de la crise agricole qui dure depuis si longtemps, mais que nos dirigeants feignent de découvrir aujourd’hui, nous fait prendre conscience que la PAC, ce pilier de la construction européenne, qui pèse près de 40% du budget européen, est un échec absolu. Cette crise rejoint ainsi dans le vaste champ des illusions perdues du rêve européen, toutes les autres crises migratoire, sanitaire, financière, énergétique, voire géopolitique avec la guerre en Ukraine, qui jalonnent la lente progression de la construction européenne et la mise en œuvre de politiques communes sans véritable consentement populaire.

Cette Europe qui se voudrait pourtant un parangon de démocratie, semble prendre depuis quelques décennies des allures d’oligarchie détachée, pour une part de plus en plus grande de son fonctionnement, de tout contrôle démocratique. C’est un véritable dilemme auquel les peuples européens sont aujourd’hui confrontés : ou bien il faut plus d’Europe en termes de nombre de pays membres comme en termes de compétences, ou bien il en faut moins ; mais pour qu’il y ait plus d’Europe, il faut que l’on sache ce qu’elle est, et pour qu’il y en ait moins, il faut aussi que l’on sache ce qu’elle est ; conclusion, il faut avant tout une Europe dont on connaisse la nature exacte.

En 2001, Pierre Manent, dans son remarquable Cours familier de philosophie politique, au chapitre sur l’Europe et l’avenir de la nation, nous parle de cette ambiguïté de la construction européenne balançant entre une « Europe-civilisation » et une « Europe-corps politique ». Si elle a « sans doute été heureuse » au début, « elle risque », nous dit-il, « de devenir ruineuse ». « Il faudra bien que les Européens qui font l’Europe finissent par dire ce qu’ils veulent faire en la faisant »[1] conclut-il. Vingt-trois ans plus tard, le pronostic se vérifie, l’ambiguïté semble bien devenir ruineuse.

C’est là je crois la seule question importante à poser aux députés pour lesquels nous allons voter en juin prochain. Elle est à coup sûr essentielle pour l’avenir de cet objet politique non identifié, qui peut aussi bien marquer l’aube politique d’un troisième millénaire lumineux, que sombrer dans les oubliettes des grands échecs de l’histoire de l’humanité.



[1] Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, L’esprit de la cité, Fayard, octobre 2001, p. 107.


Information scientifique et intelligence collective : un langage documentaire universel, pour une approche scientifique du sens de l’État guidée par une conscience politique partagée, au service de l’intérêt général (Terminologie 34). 

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