mardi 27 février 2024

de la nation (T35)

La nation est une « communauté dont les membres sont unis par le sentiment d’une même origine, d’une même appartenance, d’une même destinée » ou « anciennement », « un groupe de personnes possédant une origine commune », selon l’Académie. Communauté d’origine et de destinée donc, avec entre les deux, une communauté d’allégeance ou de soumission à l’autorité d’un État.

Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister.
(Ernest Renan)[1]

Menacé par des phénomènes sans précédents de massification démographique, environnementale, économique, le XXIe siècle devra se choisir une architecture politique planétaire. Et seules les nations peuvent en être l'élément constitutif.
(Henri Temple)
[2]

C’est « un peuple », nous dit le philosophe, « considéré d’un point de vue politique plutôt que biologique ou culturel, comme ensemble d’individus plutôt que comme institution »[3] Ce n’est donc ni une race ni une ethnie, ni nécessairement un État. Mais qu’est-ce donc alors que cet ensemble d’hommes qui ne serait déterminé ni par la génétique, ni par la langue, ni par la culture, ni par le territoire sur lequel il se serait établi, ni même par la religion[4] qui aurait pu les "relier" ?

Nation nous vient du latin natio signifiant "naissance". Une nation, c’est donc un peuple politique caractérisé par sa naissance. Mais faire intervenir la biologie dans l’idée de nation, c’est en effet oublier que les populations se déplacent et se mélangent au cours des siècles. Ce n’est donc pas la génétique qui permet de caractériser un peuple en l’identifiant à une nation.

Pourtant, c’est bien l’histoire qui, de génération en génération, de naissance en naissance, façonne un peuple, reliant ensemble des individus d’origine commune, pour faire "nation". Mais ce n’est pas la transmission de caractères biologiques héréditaires que l’idée de naissance évoque ici, c’est une autre sorte de transmission qui justifie l’emploi du mot "nation" et le recours à l’idée de naissance. À la différence de ce que nous propose la définition de Comte-Sponville évoquée plus haut, je crois pour ma part que c’est bien l’éclosion d’une culture commune portée par une langue "maternelle", comme l’idée de naissance nous le suggère, qui donne consistance au concept de nation. Cette culture façonnée par une histoire commune, forge avec le temps, un art de vivre et un savoir-vivre communs témoignant d’une volonté de vivre ensemble ou de faire nation. Associée à un consentement collectif, cette volonté commune se traduit souvent aussi par la pratique d’une religion "reliant" les individus dans une même foi en une origine et un destin partagés. La nation n’est donc pas non plus une ethnie, soit un ensemble d’individus seulement liés par une relative unité d'histoire, de langue ou de culture, mais bien un peuple uni par une volonté commune de s’assembler en un seul corps par consentement mutuel.

D’un point de vue juridico-diplomatique, la nation peut être décrite comme un ensemble d’individus représenté « par un État juridiquement reconnu par la communauté internationale, et doté d’une souveraineté interne (souveraineté populaire) et d’une souveraineté externe (indépendance) »[5]

D’un point de vue purement juridique, en droit français, le concept de nation s’appuie en effet sur la notion de souveraineté dont le principe est établi par l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Ce principe est inscrit dans le préambule de notre constitution de la cinquième République : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789 ».

Bien qu’elle fasse le plus souvent référence à un établissement ancien ou actuel sur un territoire plus ou moins bien délimité, la nation n’est pas non plus nécessairement un État, soit un corps constitué reconnu comme acteur politique plus ou moins maître de son destin sur la scène internationale. C’est le cas par exemple des nations composant le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (Angleterre, Écosse, pays de Galles et Irlande du Nord).



[1]     Qu’est-ce qu’une nation ? Calmann Lévy, 1882 ;

[2]     Théorie générale de la nation -L’architecture du monde, L’Harnattan, 2014.

[3] André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, puf, 2001, p. 396.

[4] Du latin religare « relier », dans la tradition scolastique médiévale.

[5]     Henri Temple, Essai sur le concept de NATIONISME, Sphairôs, 2024.


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