mercredi 1 février 2023

Conclusion (T32)

Les mots sont comme des peaux sensibles enveloppant les idées que l’on se fait des objets de la réalité, afin de pouvoir s’en saisir pour interagir avec eux dans toutes les dimensions de l’espace et du temps, passé et futur. Portés par une langue, mis en forme (information) et organisés par une grammaire, ils permettent en effet au verbe (logos) d’exercer sa fonction de raison qui structure la pensée, en remontant le temps pour ressusciter le passé, ou en se projetant dans l’avenir pour concevoir des futurs possibles. Affranchissant ainsi l'homme de son ancrage temporel qui l’emprisonne physiquement dans le présent, les mots portés par la langue lui permettent de voyager dans le temps en mémorisant le passé que la pensée ressuscite, et en se projetant dans un avenir qu’elle imagine pour décider en conscience et agir. Ce sont les artisans de la mémoire qui façonnent l’intelligence.

Par extension, les documents, à l’image des mots qu’ils transportent, permettent à la raison (le logos grec exprimant la fonction du verbe) de structurer une pensée collégiale en remontant le temps pour témoigner du passé ou en anticipant l’avenir pour planifier une activité collective. Afin d’assurer pleinement cette fonction d’intelligence collective et d’en garantir l’accomplissement avec efficacité, ils doivent être également portés par un langage et mis en forme puis organisés par une grammaire. Le document qui véhicule des mots, donc de l’information, à la fois dans le temps (mémoire) et dans l’espace (média), est l’élément clé de la mémoire collective dont l’organisation est indispensable au fonctionnement d’une intelligence collective, et à l’établissement d’un véritable dialogue démocratique. Guidé par la raison, et ce sens commun éminemment politique focalisé sur l’intérêt général, un tel dialogue est possible grâce à l’adoption d’un langage commun dédié à l’organisation d’un espace de documentation scientifique à vocation universelle.

Toute numérique qu’elle soit devenue, l’information, est bien ce « macro-concept multidimensionnel »[1] dont on a vu qu’elle était une affaire bien trop sérieuse pour être confiée aux seuls algorithmes, au calcul ou à l’informatique qui les programme. L’intelligence artificielle et le langage informatique qui la sert ne pourra jamais traiter que les parements numériques (les data) de ce « concept caméléon »[2], sans pouvoir accéder le moins du monde à ses autres aspects (connaissance et savoir) que seule une intelligence conceptuelle peut permettre de travailler collectivement. Le langage documentaire, qui est analogique et sert cette intelligence collective, pour inscrire dans la durée l’activité cognitive d’une collectivité autour d’un besoin commun qui lui donne sens, peut s’avérer d’un usage aussi courant qu’une langue maternelle, en s’appuyant sur une organisation logique naturelle inspirée des mécanismes sensoriels à l’œuvre dans nos systèmes cognitifs individuels.

Dans le contexte de « révolution culturelle et cognitive » dont l’électronique et le numérique ne sont que des marqueurs technologiques à effet sur l’ensemble du spectre scientifique, il semble indispensable que les Sciences Humaines et Sociales (SHS), et en particulier les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) investissent sans réserve cette hypermédiatisation de l’information qui en résulte, afin de permettre la conception de systèmes d’information adaptés à la pratique scientifique de l’intelligence collective dont ce glossaire tente de préciser les grands concepts. La sagesse scientifique d’une telle conscience éminemment politique s’avère en effet, crise après crise, toujours plus utile afin d’éviter le recours systématique en politique à un principe de précaution par essence ascientifique car infalsifiable ou irréfutable. Poussé aux limites d’une logique absurde consistant à maximiser les calculs de risque afin de justifier une intervention massive qui, après coup, en réduira l’impact, ce dévoiement politique d’une science limitée aux chiffres conduit inévitablement à en faire trop pour annuler la possibilité même de penser qu’on peut faire autrement.

Information scientifique et intelligence collective : un langage documentaire universel, pour une approche scientifique du sens de l’État guidée par une conscience politique partagée, au service de l’intérêt général. (Terminologie 32)

[1] Edgar Morin, op. cit..

[2] Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille, op. cit..


 

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