lundi 5 mai 2025

De l'éthique à la politique en passant par la science 6 (prologue)

Essai de philosophie politique appliquée (suite)

PROLOGUE

des comptes à la pensée

Compter, c’est faire des comptes. Un compte, c’est le résultat de cette action. Le verbe compter nous vient du latin computare, « compter, calculer », de cum, « avec », et putare, « élaguer », « apurer », « penser, évaluer, réfléchir ou juger ».

Synonyme de « calculer », le verbe « compter », si l’on prête attention à son étymologie, peut également signifier « apurer ou juger avec ». D’où l’ambiguïté de ce mot qui se réfère aussi bien au calcul qu’à un jugement. On retrouve cette ambiguïté dans le langage des jeunes qui utilisent couramment de nos jours le verbe « calculer » pour « compter » avec ou pour (« il ne me calcule même pas » dira une jeune adolescente dans la cour de l’école à propos d’un garçon qu’elle kiffe, en réalisant qu’elle ne compte pas pour lui). Cette ambiguïté est la source de nombreuses incompréhensions, notamment en matière d’intelligence, lorsqu’on utilise ce vaste concept si difficile à cerner pour désigner des algorithmes, c’est-à-dire du calcul, dans l’expression « Intelligence Artificielle » (IA). Cette technique très mal nommée « intelligence », mais assez justement qualifiée d’artificielle, dont certains redoutent qu’elle rivalise avec l’homme jusqu’à dépasser l’espèce humaine, n’est en réalité qu’une immense capacité de calcul, mais n’a sûrement pas la même portée que la pensée, la réflexion ou le jugement qui fondent notre humanité. Calculer, ce n’est pas comprendre. Le réel ne se déchiffre pas : l’accumulation de données arrange la statistique, mais ne permet pas d’accéder à la connaissance. La gestion récente de l’épidémie de covid, que la religion du chiffre a transformé en pandémie, illustre bien cette numérisation néfaste de la pensée politique. Le calcul décidait de la politique car seul comptait le décompte des morts, et le nombre était devenu roi.

La science, dont le calcul mental et ses prolongements artificiels via les machines n’est qu’une toute petite partie, va bien au-delà du développement d’algorithmes et des innovations technologiques qui vont avec. À plus forte raison lorsqu’il s’agit d’en envisager les applications, elle doit pouvoir être partagée, et donc avant tout, reposer sur un langage rigoureux dont le premier impératif est de fixer le vocabulaire, voire de l’inventer si nécessaire.

« Un poète doit être plus utile qu’aucun citoyen de sa tribu » [1], nous dit Lautréamont. C’est le poète, en effet, qui invente les mots qu'emploieront ensuite les journalistes, les juristes, les diplomates, les scientifiques, les politiques et les citoyens. Mais, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », nous dit un autre poète, « Et les mots pour le dire arrivent aisément »[2].

suite...

[1] Lautréamont, Poésies II, 1870.

[2] Nicolas Boileau, L’Art poétique, 1674


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire