dimanche 19 décembre 2010

Guerre économique et politique de l'autruche

Cité par l'AFP dans Le Figaro.fr, sous le titre "Poutine incite à l'espionnage économique", le premier ministre russe justifie le recours à "l'aide des services spéciaux" pour le recueil de "renseignement technico-scientifique" par le fait que , comme le font "les services de renseignement de beaucoup de pays", ils peuvent travailler "de manière significative avec des sources légales".

Autrement dit, on voudrait nous faire croire que des "services spéciaux" sont nécessaires pour recueillir du "renseignement technico-scientifique" sans "pour autant enfreindre les lois d'autres pays".


AFP 18/12/2010

Le premier ministre russe Vladimir Poutine, un ancien du KGB, a appelé aujourd'hui le service de renseignement extérieur (SVR) à faire de l'espionnage économique afin d'aider à la modernisation de la Russie.
"Il y a différentes sphères d'activité pour le renseignement: le renseignement technico-scientifique et le renseignement politique. C'est pourquoi, alors que nous avons des objectifs de modernisation économique, l'aide des services spéciaux n'est pas de trop", a-t-il dit, selon l'agence Ria Novosti, dans une émission télévisée qui sera diffusée ce soir à Moscou.
"Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut enfreindre les lois d'autres pays, les services de renseignements de beaucoup de pays travaillant de manière significative avec des sources légales", a ajouté Vladimir Poutine.
Les autorités russes ont fait de la modernisation du pays leur priorité, alors que de nombreuses usines et l'infrastructure en Russie datent encore de la période soviétique et sont obsolètes.
Le Figaro semble tout-à-fait fondé à parler ici d'espionnage économique, mais est-ce bien raisonnable, de la part d'un chef de gouvernement d'une des plus grandes puissances de la planète, de tenir un tel discours ? N'est-ce pas un peu préoccupant de constater qu'un grand média occidental relaye un tel discours sans sembler s'en inquiéter le moins du monde ? 

Par nature, les services spéciaux ont pour vocation d'opérer dans la clandestinité, clandestinité qu'il devient difficile de justifier dès lors que l'on prétend se contenter d'opérer en toute légalité. Ne pas considérer qu'il s'agit là en réalité d'une véritable déclaration de guerre - déclaration à titre de régularisation d'ailleurs, tant il semble fondé de penser que les services de renseignement russes n'ont probablement jamais (comme d'autres d'ailleurs) cessé de pratiquer l'espionnage économique à l'extérieur de leurs frontières -, ce serait faire preuve d'une bien grande naïveté. Ne pas voir dans une telle déclaration publique une dégradation manifeste et extrêmement préoccupante de la qualité des relations internationales, c'est, de la part des grandes démocraties occidentales, se voiler la face devant la montée du danger un peu (toutes proportions gardées) comme elles l'avaient fait huit décennies plus tôt devant les déclarations belliqueuses d'un dénommé Hitler.

Peut-être peut-on se dire pour se rassurer, qu'à force de confondre, en France et ailleurs, renseignement et activités des services spéciaux, les propos de Vladimir Poutine ont été mal traduits par l'AFP. Dans les services de renseignement modernes, l'exploitation du renseignement constitue en effet désormais la part du travail la plus importante et la plus délicate à réaliser, et ne peut en aucun cas être confondue avec le recueil clandestin du renseignement (l'espionnage) qui n'en est qu'un aspect très spécifique, confié pour cette raison à des services "spéciaux". Les propos du premier ministre russe seraient infiniment plus acceptables en effet s'il n'avait parlé que d'utiliser les capacités d'exploitation de l'information "ouverte" de ses services de renseignement. Mais qui s'en soucie ?

Peut-être aussi pourrait-on m'objecter que les compétences de services habitués à nager en eaux troubles peuvent être utiles pour le recueil de l'information dite "grise" tout en restant dans le strict cadre de la légalité, et qu'il n'y a rien de choquant à ce qu'une grande démocratie fasse appel à ces compétences. Mais c'est justement, le développement de ces zones "grises" (qui sont en réalité des zones de non-droit), qui pose à mon sens problème et dénote une lente dégradation de la qualité des relations internationales. Si les Etats, plutôt que de chercher à réduire ces zones grises en légiférant, essayent d'en profiter pour organiser le pillage des avancées technico-scientifiques de leurs rivaux, on ne peut en effet qu'être pessimiste quant à l'avenir des bonnes relations  entre grandes nations.

FB

2 commentaires:

  1. Voir sur le même sujet un autre article "Russie: Poutine en appelle à l’intelligence économique" (http://intelligenceeconomiquealgerie.blogspot.com/2010/12/russie-poutine-en-appelle-lintelligence.html), ainsi que le commentaire que j'en fais.
    FB

    RépondreSupprimer
  2. Je trouve étonnant ce commentaire repris par plusieurs sites et plusieurs
    auteurs, qui semble accréditer cette thèse selon laquelle des grandes
    nations (Russie ou autres) pourraient mettre leurs "services de
    renseignement extérieur" à contribution pour, je cite l'AFP, "aider à la
    modernisation" du pays, sans qu'on puisse les soupçonner d'appeler à l'aide
    leurs services à des fins d'espionnage économique. Toujours selon la même
    source, le premier ministre russe aurait dit : "Il y a différentes sphères
    d'activité pour le renseignement: le renseignement technico-scientifique et
    le renseignement politique. C'est pourquoi, alors que nous avons des
    objectifs de modernisation économique, l'aide des services spéciaux n'est
    pas de trop". On ne saurait être plus explicite !

    RépondreSupprimer