Épistêmê et endoxe
Dans un environnement économique que l’on peut se
représenter, par exemple, comme un écosystème de l’innovation dont il s’agirait
de tirer tous les enseignements afin d’être performant et compétitif, la
quintessence de toute problématique à laquelle peuvent être confrontés les
acteurs économiques en termes de méthodologie peut se ramener à un problème
d’exploitation d’un capital de connaissances qu’il faut acquérir, développer et
mettre en valeur avec intelligence. C’est un problème d’intelligence économique
au sens premier du mot économie qui suggère une bonne administration de la
maison commune. Pour aborder cette discipline sous l’angle de l’innovation, il
faut, j'en suis convaincu, envisager un véritable changement de paradigme
scientifique en redonnant à l’épistêmê aristotélicienne toute sa force
appuyée sur sa vertu première, l’intelligence. La « con-naissance »,
au sens de l’épistêmê d’Aristote associée au noûs, est la genèse
d’une représentation « co-ordonnée » du réel, mise « en forme »
(in-formation) par « con-struction » de sens dans une mémoire
organisée : à partir d’une observation exécutée avec sagesse ou
discernement, suivie d’une interprétation, une pratique exercée avec méthode,
prudence ou sagacité, un jugement prend forme avec la réalisation d'un produit
composé avec art, façon ou habileté.
La doxa au sens d’Aristote (idée partagée par la
plupart parce qu’elle répond à une attente générale des sages), vient compléter
le dispositif pour refermer la boucle et relancer une observation lorsque la
connaissance ainsi construite ne répond pas suffisamment à l’attente. L’observation
des faits est ainsi orientée par l’intention, une envie, un intérêt ou un
besoin, partagé par tous ou la plupart, qui fait sens. Elle est guidée par la méthode
pour aboutir à la conception de formes nouvelles, dans un cycle ininterrompu
que l’on peut désigner par l’expression « cycle de l’information ».
On retrouve là ce fameux cycle du renseignement, si controversé et pourtant si
utile, qui permet à toute communauté du renseignement, dans un mouvement
dynamique continu, d’orienter sa recherche, d’exploiter les renseignements
collectés, puis de les communiquer à tous ses membres ayant besoin d’en connaître.
Cette doxa, que certains exégètes d’Aristote traduisent par « endoxe »,
par opposition à la notion de paradoxe (ce qui va contre l’attente générale des
sages), pour se démarquer ainsi du sens péjoratif que notre époque moderne a
retenu (opinion reçue, préjugé, ou dogme intangible), cette endoxe, donc, est
essentielle. C’est elle qui conduit à revenir toujours à l’observation (la
théorie), lorsque la connaissance produite ne répond pas suffisamment à
l'attente. C’est elle qui oriente l’ensemble et donne son sens à l’action.
C’est elle, enfin, qui permet de concevoir avec prudence ou méthode des
pratiques innovantes, en évitant cette sorte de précipitation qui incite trop
souvent à anticiper sur les solutions techniques, ce qui ruine la plupart du
temps toute ambition d’innover avec discernement. Ce mode de fonctionnement
cyclique permet d’orienter la pratique, sans se priver des nombreuses connaissances
en permanente évolution, utiles à la satisfaction de cette intention
collective.
(à suivre)
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