jeudi 16 avril 2020

Faire parler ses données, en exploiter le sens, pour donner du sens à l’action (2/7)

Deuxième partie.

Épistêmê et endoxe

Dans un environnement économique que l’on peut se représenter, par exemple, comme un écosystème de l’innovation dont il s’agirait de tirer tous les enseignements afin d’être performant et compétitif, la quintessence de toute problématique à laquelle peuvent être confrontés les acteurs économiques en termes de méthodologie peut se ramener à un problème d’exploitation d’un capital de connaissances qu’il faut acquérir, développer et mettre en valeur avec intelligence. C’est un problème d’intelligence économique au sens premier du mot économie qui suggère une bonne administration de la maison commune. Pour aborder cette discipline sous l’angle de l’innovation, il faut, j'en suis convaincu, envisager un véritable changement de paradigme scientifique en redonnant à l’épistêmê aristotélicienne toute sa force appuyée sur sa vertu première, l’intelligence. La « con-naissance », au sens de l’épistêmê d’Aristote associée au noûs, est la genèse d’une représentation « co-ordonnée » du réel, mise « en forme » (in-formation) par « con-struction » de sens dans une mémoire organisée : à partir d’une observation exécutée avec sagesse ou discernement, suivie d’une interprétation, une pratique exercée avec méthode, prudence ou sagacité, un jugement prend forme avec la réalisation d'un produit composé avec art, façon ou habileté.
La doxa au sens d’Aristote (idée partagée par la plupart parce qu’elle répond à une attente générale des sages), vient compléter le dispositif pour refermer la boucle et relancer une observation lorsque la connaissance ainsi construite ne répond pas suffisamment à l’attente. L’observation des faits est ainsi orientée par l’intention, une envie, un intérêt ou un besoin, partagé par tous ou la plupart, qui fait sens. Elle est guidée par la méthode pour aboutir à la conception de formes nouvelles, dans un cycle ininterrompu que l’on peut désigner par l’expression « cycle de l’information ». On retrouve là ce fameux cycle du renseignement, si controversé et pourtant si utile, qui permet à toute communauté du renseignement, dans un mouvement dynamique continu, d’orienter sa recherche, d’exploiter les renseignements collectés, puis de les communiquer à tous ses membres ayant besoin d’en connaître. Cette doxa, que certains exégètes d’Aristote traduisent par « endoxe », par opposition à la notion de paradoxe (ce qui va contre l’attente générale des sages), pour se démarquer ainsi du sens péjoratif que notre époque moderne a retenu (opinion reçue, préjugé, ou dogme intangible), cette endoxe, donc, est essentielle. C’est elle qui conduit à revenir toujours à l’observation (la théorie), lorsque la connaissance produite ne répond pas suffisamment à l'attente. C’est elle qui oriente l’ensemble et donne son sens à l’action. C’est elle, enfin, qui permet de concevoir avec prudence ou méthode des pratiques innovantes, en évitant cette sorte de précipitation qui incite trop souvent à anticiper sur les solutions techniques, ce qui ruine la plupart du temps toute ambition d’innover avec discernement. Ce mode de fonctionnement cyclique permet d’orienter la pratique, sans se priver des nombreuses connaissances en permanente évolution, utiles à la satisfaction de cette intention collective.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire