Épistêmê, endoxe et sens
Data et connaissances, informatique et information, mémoire implicite et explicite
De plus en plus de spécialistes des data en
entreprise font ce constat récurrent, que les usages opérationnels ne
parviennent pas à s’approprier les outils que la technologie informatique et
ses systèmes intégrés peuvent leur offrir. Face à des processus professionnels
de plus en plus complexes, la technologie seule semble impuissante à répondre
aux besoins des usagers dans la pratique opérationnelle de leur métier. Au-delà
de l’ingénierie informatique, une certaine interdisciplinarité entre sciences
exactes et sciences humaines peut dès lors, nous inciter à faire appel à une
forme d’ingénierie de la connaissance. Pour ce qui me concerne, j’ai pensé
utile de m’affranchir de toute sorte d’ingénierie en envisageant la fonction
cognitive d’une manière radicalement différente, qui ne s’oppose pas à
l’informatique ou aux différentes formes d’ingénierie des connaissances, mais
qui en est parfaitement complémentaire en s’y agrégeant comme un prolongement
indispensable. C’est en particulier, je crois, un élément indispensable à la
réussite de tout projet d’architecture informatique.
C’est peut-être là qu'on peut regretter ces
« cloisons de verre » entre différents types d’expertises qui
freinent la mise en œuvre de cette transformation numérique dans l’entreprise,
parce que experts scientifiques, experts systèmes et experts métiers ne
parviennent pas à s’entendre. Pour moi, plus que des cloisons entre experts, je
vois là un véritable plafond de verre qui nous empêche de passer des systèmes
informatiques que nous proposent les data scientists, aux véritables
systèmes d’information que réclament les utilisateurs opérationnels (chercheurs
dans leurs labos et au sein de la communauté scientifique, salariés en
entreprise et dans leur environnement économique, citoyens chez eux et dans
leur écosystème socioculturel). C’est
cette frontière naturelle qui semble infranchissable entre, d’une part, les
techniques numériques, l’informatique, qui fait appel au calcul, les
algorithmes ou une intelligence que l’on dit artificielle, et d’autre part, la
méthodologie ou le formalisme analogique de l’information, qui fait appel à la
pensée et à une intelligence reposant sur ces vertus aristotéliciennes qui sont
proprement humaines : discernement, méthode puis habileté. Comme la
frontière séparant la part inconsciente de la fonction cognitive (la mémoire
implicite), de sa part consciente (la mémoire explicite), cette frontière ne
doit pas constituer une barrière infranchissable (ces deux types de mémoires
sont complémentaires), mais c’est une distinction qu’il est nécessaire de bien
marquer entre deux domaines de fonctionnement fondamentalement différents.
Dans le second (celui de la mémoire explicite), les 5
sens et l’intuition sont essentiels (avec des performances que la technique est
parfois très loin de supplanter), le sens de la flèche en est la boussole,
tandis que le sens des mots en fait la principale force, à condition d’être
partagé. Il est en effet indispensable de s’entendre sur le sens des mots, à
commencer par celui de donnée, dont je crois utile ici de retenir la définition
que nous en donne Bergson au XIXème siècle : « ce qui est perçu par
observation directe, indépendamment de tout travail de l'esprit ». C’est à
ça aussi que servent ces réflexions sur le sens : à fixer scientifiquement
un vocabulaire d’usage ultra courant, et de ce fait, particulièrement
protéiforme. Données, connaissance, savoir, information, big data, smart
et thick data, sont autant de mots sur le sens desquels ce schéma permet
je l’espère de mieux nous entendre.
(à suivre)
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