jeudi 16 avril 2020

Faire parler ses données, en exploiter le sens, pour donner du sens à l’action (6/7)

Sixième partie.

Épistêmê, endoxe et sens

Le document, instrument technique de transport de sens

Il nous faut donc dépasser la seule dimension numérique des data, qui limite théorie, pratique et production à un rôle instrumental (lunette de Galilée ou données de masse en entrée, calcul ou Intelligence Artificielle au cœur du système, et tablette sumérienne ou data hub en sortie), afin de porter l'effort sur la dimension analogique de l’information. Et, s’il faut s’intéresser au produit final, aux progrès techniques, c’est en prêtant attention à ceux qui affectent son support, le document.
Si le grand livre de la nature est écrit en langage mathématique, l’homme s’exprime quant à lui dans un tout autre langage. La notion de valeur, en particulier, est dans nos têtes, pas dans la nature. Elle n’est abordée en langage mathématique que sous une forme exacte qui ne traduit en rien l’infinie diversité de nos perceptions (les 5 sens + l’intuition), elle se formalise dans le discours (le logos) guidé par l’intention (le sens de la flèche), et elle est portée par un produit documentaire (la signification). Avec le document, qui est un support technique, l’information s’externalise en s’affranchissant du corps et par là même de la mémoire individuelle. L’histoire du document, c’est l’histoire d’une lente évolution de l’individuel au collectif et du statique au dynamique. Elle est rythmée par le progrès : le document se grave puis se calligraphie, s’imprime et désormais se dématérialise, dans le contexte électronique qui caractérise mieux, je crois, la mutation technologique actuelle, que la seule référence au numérique.
Dans nos systèmes d’information, la fonction d’agrégation des données substantielles, l’agrégation des savoirs en environnement analogique, c’est la fonction documentaire, fonction à vocation collective de transport de sens. Avec une fonction statistique en pleine effervescence et une fonction cognitive profondément déstabilisée par des progrès techniques élevés au rang de moyens en lieu et place de la méthode, la fonction documentaire est à la peine, dans un espace-temps de plus en plus contracté par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
L’ampleur de la révolution engendrée par l’apparition de l’électronique dans la gestion documentaire doit être l’occasion de dépasser la seule donnée numérique en reconnaissant aux savoir-faire de la documentation un statut nouveau de pratique collective courante accessible à tous, sans laquelle il sera de plus en plus dérisoire d’attendre une quelconque capacité à décider et à agir de manière collégiale. Il ne s’agit pas là d’un simple problème de transformation numérique dans l’entreprise ou dans nos sociétés, mais d’une évolution méthodologique majeure liée à l’utilisation d’une technologie nouvelle, l’électronique, qui est une branche de la physique appliquée utilisant l'électricité comme support pour le traitement, la transmission et le stockage d'informations dans une mémoire collective.
Pour plagier la formule de Boileau, il faut désormais que chacun puisse se sentir "aussi savant, un système d’information à sa main", que "tout protestant" a pu se sentir "pape, une bible à la main".
 (à suivre)


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