jeudi 16 avril 2020

Faire parler ses données, en exploiter le sens, pour donner du sens à l’action (4/7)

Quatrième partie.

Épistêmê, endoxe et sens

Data et sens


Ce qui est véritablement formidable avec cette épistêmê que l’exégèse de la Logique d’Aristote nous enseigne, c’est qu’elle s’applique aussi bien au fonctionnement solitaire de notre mémoire individuelle (implicite comme explicite), qu’au fonctionnement collectif, dans un système d’information, d’une mémoire partagée (numérique comme analogique), jusqu’à s'appliquer même à celui d’un écosystème complet comme notre planète économique globalisée.
J’entends bien cette question des spécialistes de la transformation digitale et des data qui se demandent à quoi ce recours à l’épistêmê peut bien servir dans le cadre de la mise en œuvre d’un système d’information. « Donner du sens ». C’est le titre de cette présentation, mais c’est aussi un besoin que l’on retrouve mis à toutes les sauces dans la littérature : « faire parler ses données, faire sens de ses données, donner du sens à ses données, tirer du sens de ses données, etc. ». Il y a là, très clairement, un besoin manifeste auquel les spécialistes des data doivent pouvoir contribuer à répondre, mais « pas que », d’autres expériences peuvent être utiles. Exploiter le sens des données, c’est à cela qu’Aristote nous invite. Exploiter le sens, il se trouve que, sans être spécialiste des data, ça a aussi été mon métier durant de longues années : l’exploitation du renseignement.
Mais au fait, le sens, c’est quoi ? Le sens, c’est un triptyque : les 5 sens + l’intuition (les capteurs ou instruments de collecte des données, en réception), le sens de la flèche (la direction ou intelligence en conception), et la signification (l’émission d’un signal ou d’un document en sortie).
Cette diapositive, je l’ai utilisée la première fois dans un colloque intitulé « des big data aux thick data ». On est bien d’accord, face à l’énormité des gisements de données auxquels nous sommes désormais confrontés, et grâce aux immenses capacités de calcul dont nous disposons pour les traiter, les data sont omniprésentes dans tous les développements relatifs au traitement de l’information. Elles passent de « grosses » à « épaisses » (ou substantielles), tout au long d’un processus de construction de sens qui passe par un stade intermédiaire de conception ou de conceptualisation, impliquant paradoxalement plus de finesse ou « d’intelligence ».
Cette intelligence, elle commence par cette capacité de discernement, sagesse théorique, qui, associée à la sagesse pratique, prudence ou méthode, fait toute la singularité de la fonction cognitive opérée par des organismes vivants, par rapport à celle susceptible d’être opérée par des artefacts (l’intelligence artificielle, par exemple). Ce mode de fonctionnement cyclique qui permet,  grâce à l’endoxe, à nos systèmes cognitifs de ne pas s’encombrer inutilement d’une multitude de données externes, mais de ne sélectionner que celles répondant à un besoin avéré, est probablement une caractéristique commune aux organismes vivants. Chez l’homme, il est donc naturellement à l’œuvre dans toute la part inconsciente de la fonction cognitive. Pour ce qui concerne sa part consciente qui se traduit par la pensée en passant par la langue, bien que tout aussi naturel, ce mode itératif est parfois négligé. C’est en particulier le cas dans tout travail de conception ou d’innovation qui anticiperait sur la solution de problèmes conjoncturels, donc par nature imprévisibles, plutôt que de chercher à améliorer ou à actualiser en permanence ses connaissances en fonction d’un besoin général sans cesse affiné grâce à l’endoxe, et traduit par une intention collective qui constitue le seul guide efficace en matière d’innovation.
De la fonction statistique de traitement des « données de masse » en entrée, à la fonction d’agrégation des « données substantielles » en sortie du système, ce travail de l’intelligence passe par une fonction cognitive de traitement des « données intelligentes ». En abordant l’exploitation des data comme une « formidable machine à produire du sens nouveau », cette fonction cognitive est désormais fortement sollicitée.
 (à suivre)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire