samedi 15 octobre 2022

Information, communication et documentation : une intelligence collective au service de la Politique (8)

Petit glossaire insolite de l’infocom au service des artisans d’une intelligence collective de documentation à usage politique  

INFORMATION

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Que le prisme d’observation soit celui de la connaissance, du savoir, de la communication, ou encore de la stratégie, de la "Politique", voire de l’éthique, l’acception du terme « information » comporte en effet bien trop de facettes différentes selon l’angle sous lequel on l’aborde, pour qu’une véritable approche scientifique du concept, à la fois commune aux sciences de l’ingénieur et aux sciences humaines, puisse aboutir à une théorie dûment identifiée, universellement reconnue et proprement applicable dans la pratique.

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(retour à l'entrée précédente)

    Une information littéralement, c’est donc la mise "en forme" de signaux s'offrant à l'observation, qui s’organise dans une mémoire en une sorte de continuum cognitif (données, connaissances, savoirs). C’est en quelque sorte un agent de communication qui peut être considéré en adoptant le point de vue de l’émetteur d’un signal porteur de sens, mais que nous aborderons ici en adoptant celui du récepteur, qui recueille des données pour tenter de répondre à son besoin de savoir pour agir, en contribuant à la solution d’un problème de construction de sens qui mène au savoir et éclaire l’action.

    L’information, cet immense objet scientifique qu’Edgar Morin qualifie de « macro-concept multidimensionnel »[1], c’est ce « concept-caméléon changeant au gré des besoins théoriques », étudié en France par les sciences de l’information et de la communication[2], qui s’avère bien trop protéiforme et « polysémique »[3] pour désigner une discipline scientifique universellement reconnue, sans avoir été au préalable défini avec la plus grande précision. Que le prisme d’observation soit celui de la connaissance, du savoir, de la communication, ou encore de la stratégie, de la "Politique", voire de l’éthique, l’acception du terme « information » comporte en effet bien trop de facettes différentes selon l’angle sous lequel on l’aborde, pour qu’une véritable approche scientifique du concept, à la fois commune aux sciences de l’ingénieur et aux sciences humaines, puisse aboutir à une théorie dûment identifiée, universellement reconnue et proprement applicable dans la pratique.

    La littérature anglo-saxonne représente la plupart du temps l’information coincée entre la donnée et la connaissance, dans un processus qui transforme des données (data) en information (information), puis en connaissance ou savoir (knowledge), parfois ensuite en perception (insight), et enfin en sagesse, clairvoyance, savoir, sagacité, bon sens, sens commun ou jugement (wisdom). Il s’agit là en réalité d’un processus de décision souvent représenté par une pyramide connue en gestion des connaissances sous le nom de pyramide de la connaissance ou pyramide DICS (pour Données, Information, Connaissance et Savoir ou Sagesse), DIKW en anglais. Les data s’amassent à ses pieds (la base de la pyramide), tandis que l’anglais wisdom, le plus souvent traduit en français par « savoir », figure la pointe censée éclairer la décision sage.

    Pourtant, la recherche en sciences de l’information et de la communication n’a pas pour vocation première de s’intéresser spécifiquement au processus de décision et à la sagesse de cette dernière, mais bien en tout premier lieu à celui de la construction du sens qui fait la connaissance et produit un savoir participant ainsi à la prise de décision en l’éclairant. La question qui doit se poser à la lecture de la littérature anglo-saxonne évoquée précédemment concerne la traduction anglaise du mot « savoir ». Un simple coup d’œil sur le web à ces traductions, dans la pratique des interprétations courantes du français vers l'anglais, permet de se convaincre que le mot savoir est systématiquement traduit par l’anglais knowledge. Nous laisserons donc la sagesse ou la clairvoyance à la métaphysique qui seule, « au-delà » de la rationalité mathématique, peut s’attacher à démêler le vrai du faux en matière de jugement, pour nous concentrer plutôt sur le processus d’acquisition de la connaissance que les philosophes nomment « cognition ».

    L’information, c’est donc bien la mise en forme d’un ensemble de données recueillies à partir de l’observation des faits ou d’une matière « donnée » par l’observation des faits, qui permet de se former une idée ou une perception de la réalité. Celle-ci est tout d’abord impersonnelle en tant qu’objet du processus cognitif ou produit d’une fonction cognitive à vocation collective : c’est alors une connaissance. Elle est ensuite personnalisée lorsqu’une personne physique ou morale (de l’individu à l’humanité toute entière en passant par toute sorte de communauté savante) se l’approprie : elle devient dès lors un savoir.

    De là cette synonymie presque parfaite dans le langage courant entre la Connaissance avec un grand "C" que l’on dit scientifique parce que collectivement reconnue ou admise, et le Savoir avec un grand "S" sous-entendu « universel » parce qu’individuellement partagé. De là également cette difficulté à traduire la littérature anglo-saxonne qui ne distingue que peu le savoir (knowledge, wisdom parfois) de la connaissance (knowledge également, plus rarement cognition lorsqu’il s’agit du processus cognitif, cognizance encore plus rarement pour désigner spécifiquement le produit de la fonction cognitive).

    En français, la construction du sens dans une mémoire devrait se décrire dans l’ordre suivant : données, connaissance, savoir, l’ensemble représentant de l’information. Les données se transforment d’abord en connaissance tacite, objet du processus cognitif inconscient (en anglais cognition) et produit de l’intelligence procédurale, puis éventuellement en connaissance explicite, produit de la fonction cognitive consciente (en anglais cognizance) ou de l’intelligence conceptuelle. La connaissance tacite se transforme ensuite en savoir-faire (en anglais know-how) chez le sujet dont la mémoire accueille le processus, tandis que la connaissance explicite se transforme quant à elle en savoir (en anglais, knowledge) dès lors que le sujet en question engage son libre arbitre, donc sa responsabilité en tant que sujet agissant, en se l’appropriant. La connaissance qui est l’objet d’un processus à vocation collective est ainsi par nature, objective, tandis que le savoir, qui engage un sujet individuel (personne physique) ou un groupe d’individus personnalisé (personne morale), est irrémédiablement subjectif. Dans ce schéma, l’information, tient bien ce rôle de « macro-concept multidimensionnel » assigné par Edgar Morin, qui permet de rendre compte de toutes les étapes de ce processus de construction de sens (données, connaissances, savoir). C’est un processus de transformation inhérent au fonctionnement de toute mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective.

    Ce que nous propose la pyramide DIKW ou DICS, c’est une représentation contraire à la réalité du processus de mise "en forme" ("in formation") observé précédemment, car elle fait croire à une construction transformant la donnée en information susceptible de devenir ensuite une connaissance puis un savoir. Or, il n’en est rien, car l’information, cette mise « en forme » d’un signal observé, est en réalité omniprésente tout au long du fonctionnement de l’intelligence, dans ce système cognitif exceptionnel qu’est notre mémoire individuelle. Il s’agit d’un processus cognitif faisant appel au discernement pour la sélection des données utiles à la solution du problème posé, puis à la raison réfléchie, dans une forme de communication avec soi-même, pour engendrer les connaissances nécessaires à sa résolution, et enfin à la sagacité pour assimiler le savoir lui fournissant une réponse pertinente et se l’approprier pour agir. La représentation DICS, qui place l’information entre la donnée et la connaissance comme une étape du processus d’élaboration de la connaissance et du savoir, est ainsi un contre-sens au regard de notre intention ou de notre but qui est l’action, et de la pensée essentiellement pratique qu’elle oriente. En regard de la complexité illimitée de l’objet « information », cette pensée peut demeurer simple, à condition de s’entendre sur la réalité de ce continuum cognitif (données, connaissances, savoirs) qui fait information et façonne l’intelligence dans la mémoire.

    La finalité de ce travail sur le vocabulaire de l’information qui détermine entièrement notre intention envers la réalité observée en donnant tout leur sens à nos perceptions, est en effet de décrire les grandes étapes du travail de nos mémoires individuelles et d’expliquer ainsi les grandes fonctions de l’intelligence, afin d’en adopter le modèle pour la conception d’un système d’information et de communication documentaire reposant sur l’efficacité d’une mémoire partagée et la mise en œuvre d’une intelligence collective. « Expliquer en science, c'est ramener la complexité du visible à de l'invisible simple », nous dit Pierre-François Moreau à l’article « Entendement » du Grand dictionnaire de la philosophie[4]. Il s’agit bien ici de réduire la réalité complexe du concept d’information à quelques idées suffisamment simples pour décrire le travail de la mémoire et modéliser ainsi les grandes fonctions de l’intelligence. En réalité, données, connaissances et savoirs sont toujours des informations envisagées chacune en raison de leur propre spécificité dans un continuum cognitif, ce processus de mise « en forme » à l’œuvre dans la mémoire, à partir duquel fonctionne notre intelligence.

(à suivre...)



[1] Edgar Morin, La complexité humaine, Flammarion, Paris, 1994.

[2] Cette discipline « ne retrouve pas d’équivalent dans la structuration anglo-saxonne des champs du savoir » (Sylvie Leleu-Merviel, op.cit.).

[3] « Sommes-nous condamnés à sombrer dans la polysémie d’un concept-caméléon, changeant au gré des besoins théoriques ? » (Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille. Quelques révisions du concept d’information. In F. Papy (dir.), Problématiques émergentes dans les sciences de l’information, Science Publications, Hermès, pp. 25 à 56. 2008).

[4]  Michel Blay (sous la direction de), Larousse, CNRS éditions, 2003.



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