mardi 8 novembre 2022

Information, communication et documentation : une intelligence collective au service de la Politique (23)

 Petit glossaire insolite de l’infocom au service des artisans d’une intelligence collective de documentation à usage politique  

   société de l’information

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En réalité, l’information est l’oxygène nécessaire à toute vie en société, et la révolution informatique qui a présidé à l’avènement de cette "société numérique" est encore très loin d’avoir montré toute l’étendue des bouleversements cognitifs, culturels, politiques et sociaux, voire civilisationnels liés à l’information, qu’elle porte en germe.

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    L’expression "société de l’information" est issue de l’émergence à la fin du siècle dernier d’une sorte de "paradigme informationnel" auquel les travaux de Norbert Wiener sur la cybernétique ont largement participé. Considérant l’information comme un phénomène central de la société émergente, le discours de l’époque a en effet servi de matrice à une conception du corps social dont cette expression traduisait la mutation due à l’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication (TIC).

(retour à l’entrée précédente)

    Mais depuis le tournant du siècle, cette thématique a tendance à se banaliser, et l’expression est passée dans le langage courant laissant ainsi croire à un changement de statut de la dite société qui serait passée d’"émergente" à "installée". Peut-être aurait-il été plus pertinent d’utiliser l’expression "société numérique" pour désigner ce changement de paradigme lié aux développements de la cybernétique, de l’informatique et des TIC. Il s’agissait plus en effet d’un "paradigme informatique" que d’un véritable "paradigme informationnel".

    L’informatique n’est qu’une technique nouvelle dont l’arrivée bouleverse notre rapport à l’information qui a toujours, quant à elle, été au cœur de l’activité humaine. L’information et ses différents supports ont été de toutes les grandes mutations civilisationnelles qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. Le droit écrit, la monnaie, la géométrie, les grandes religions monothéistes, sont apparues avec l’arrivée de l’écriture. Le capitalisme, la science expérimentale moderne, la réforme luthérienne, les démocraties modernes sont nées avec l’invention de l’imprimerie. La mondialisation actuelle enfin est née avec l’invention de l’informatique. Ainsi, caractériser l’émergence d’une nouvelle société par la centralité de l’information en tant que source primaire « de la productivité et du pouvoir »[1] comme l’ont fait certains auteurs à la fin du siècle dernier pour rendre compte de l’avènement de la période historique actuelle qu’ils ont nommée « ère de l’information », ne me semble pas totalement pertinent.

    En réalité, l’information est l’oxygène nécessaire à toute vie en société, et la révolution informatique qui a présidé à l’avènement de cette "société numérique" est encore très loin d’avoir montré toute l’étendue des bouleversements cognitifs, culturels, politiques et sociaux, voire civilisationnels liés à l’information, qu’elle porte en germe. Le cyberespace qui est le terrain de jeu de cette nouvelle société nous donne chaque jour un peu plus la mesure de ces bouleversements. « Dans quel espace vivons-nous actuellement ? » s’interrogeait en 2007 le philosophe et historien des sciences Michel Serres. « Nous avons changé d’espace » précisait-il, or, « changer d’espace » a « des répercutions culturelles considérables qui touchent à la fois le juridique et le politique ». En effet, « si nous avons changé d’espace, peut-être faut-il en conclure que nous nous trouvons dans un espace de non droit » [2].

    Les discours scientifiques sur le thème de la société de l’information, le logos ou la raison s’y référant, relèvent ainsi d’une sorte d’anthropologie politique à la fois prospective, pour accompagner « l’homme à venir » dans la cité du futur, et historique, pour inscrire les bouleversements attendus dans la lignée des grandes mutations culturelles et politiques du passé. Le concept de "société de l’information", bien que l’expression soit désormais passée du discours scientifique au langage courant, est encore très loin de refléter l’immense variété du champ des possibles en matière d’utilisation des TIC et de ses effets sur les évolutions de nos sociétés hyperconnectées. Les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) ont à n’en pas douter un rôle éminent à tenir dans l’approfondissement de cette thématique scientifique.

Le discours scientifique (logos) sur cette nouvelle société, ou la raison dont on a vu qu’elle était indissociable de la notion de "cause" (causa) confondue en latin populaire avec "chose" (res), doit participer à un processus résolument tendu vers cette "Cause" publique (Res publica) qui s’identifie à l’intérêt général. Il peut s’appuyer à cette fin sur une approche de la relation entre nombre et unité permettant d’adapter les grands principes de l’ordre républicain à cette société de l’information encore émergente. L’organisation rigoureuse de la relation délicate entre jeu collectif et actions individuelles constitue le cadre incontournable de cette alliance si précieuse pour la démocratie entre responsabilité individuelle et confiance collective conditionnant l’autorité de l’État, la souveraineté du peuple et la solidarité nationale, mais aussi la mise en forme des savoirs communs ou l’information de documentation.

Dans la dimension collective que la "chose publique" impose en matière de société, on a vu que la raison prolongeait l’intuition en procédant comme elle, de ce sens commun éminemment politique qui initie la mise "en forme" (information) d’une pensée collective.

(à suivre…)


[1]   Manuel Castells. L’Ère de l’information, Tome 1, La société en réseau, Fayard, 1998.

[2]   Michel Serres. Les nouvelles technologies révolution culturelle et cognitive, Conférence, Quarante ans de l’INRIA, forum « Informatique et Société », Lille, 2007.


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