jeudi 5 janvier 2023

de la MÉMOIRE (T5)

La mémoire, cette sentinelle de l'esprit pour Shakespeare, sans laquelle la tête n'est qu'une place sans garnison, selon Napoléon, c’est donc ce dispositif central du système cognitif dédié à la fabrique du sens, dont le travail façonne l’intelligence en permettant l’acquisition et l’encodage de l’information, sa rétention puis sa restitution. Elle opère tout d’abord une transformation de nos perceptions de la réalité d’une situation, en éléments ayant du sens au regard d’une finalité déterminée par notre intention envers cette situation. Elle assure ensuite l’enregistrement de ces informations de manière à ce qu'elles puissent être réutilisées plus tard autant que de besoin. Elle offre enfin la capacité de récupération de ces informations préalablement stockées et utiles à l’action, à la décision qui l’enclenche et à la volonté qui l’anime, en fonction d’un besoin.

La mémoire, c’est ainsi un système d’information transformant des données de la réalité observée en connaissances utiles, puis en savoirs nécessaires à la décision, pour faire sens et éclairer l’action. C’est le lieu de la construction du sens dans nos cerveaux. Elle est décrite par le neurophysiologiste Alain Berthoz[1] comme un formidable « instrument de prédiction ». Considérant en effet le cerveau comme « une machine à anticiper » secondée par l’émotion « qui prépare le corps et le cerveau aux conséquences des actions à venir », ce spécialiste de la « physiologie de la perception et de l'action » observe que « nous sommes des organismes orientés vers un but »[2]. La physiologie qu’il étudie, s’applique aux automatismes que la nature met en œuvre dans une mémoire que l’on dira implicite, au service de l’intelligence procédurale. Mais au-delà de cette physiologie du système nerveux, on peut raisonnablement penser que ces qualités précieuses d’anticipation et d’orientation s’étendent aux fonctions réflexives de la dite mémoire que l’on dira alors explicite, au service d’une intelligence conceptuelle.

La mémoire est en effet, le lieu de la mise en forme de signaux s'offrant à l'observation, donc celui de l’expression de la théorie [3] considérée par Aristote comme l’activité propre de l’intelligence. C’est le lieu de la mise en œuvre d’un processus intellectuel qui s'enclenche à partir d'un besoin de savoir pour agir. Cette finalité déterminée par une intention, est envisagée comme un problème à résoudre au moyen de l’intelligence. Elle est ce fameux « but » observé par Alain Berthoz, vers lequel sont « orientés » nos « organismes », ou bien encore, la cause ou la raison qui motive le travail de l’intelligence et donne leur sens à nos perceptions de la réalité. Ce processus englobe tout un ensemble de fonctions qui s’organisent dans la mémoire en une sorte de continuum cognitif, pour sélectionner avec discernement les données susceptibles de participer à la résolution du problème posé par le besoin d’agir, engendrer les connaissances utiles à sa solution et produire in fine des savoirs nécessaires à la décision dans l’action.

C’est dans la mémoire que l’information s’enrichit à partir de différentes sources échelonnées dans le temps et réparties dans l’espace. C’est là qu’elle se mutualise puis se recombine pour concevoir ou donner naissance à de nouvelles connaissances et prendre un sens nouveau que l’inconscient ordonne et que la conscience compose et transcrit. C’est enfin dans la mémoire, ce prodigieux système d’information équipant tout être humain, que l’inconscient calcule et que le conscient pense les savoirs nécessaires à l’action en leur donnant tout leur sens.

C’est ainsi dans la mémoire que se construit le sens à partir d’observations théoriques, en guidant l’information à chaque étape inconsciente ou consciente de sa mise « en-forme » (donnée, connaissance ou savoir).

La mémoire est l’outil de la Connaissance avec un grand « C » lorsqu’elle est collectivement ou universellement reconnue et du Savoir avec un grand « S » lorsqu’il est universel : c’est l’outil de la science.

 
Information scientifique et intelligence collective : un langage documentaire universel, pour une approche scientifique du sens de l’État guidée par une conscience politique partagée, au service de l’intérêt général. (Terminologie 5)

[1] Alain Berthoz a été professeur honoraire au Collège de France, titulaire de la chaire de physiologie de la perception et de l'action, de 1993 à 2010.

[2] Alain Berthoz, Robotique, vie artificielle, réalité virtuelle, Interview (Propos recueillis par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin, La Revue mensuelle n° 47, 17/09/2003.

[3] Du grec theorein « contempler, observer, examiner » et théôria « vision, contemplation ».

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