C’est lui donc, ce sens commun, qui peut apporter un supplément d’âme « éthique », à la conduite de nos actions individuelles en « hiérarchisant nos désirs » dans une « réflexion » fondée sur « des connaissances et des choix »[1]. Chez Aristote, le sens commun se rapporte autant à l'unité du sujet sensitif qu'à la communauté de l'objet perçu. Thomas d'Aquin qui, comme lui, y voyait une fonction de discernement intégratrice des cinq sens externes ou sensations, le distinguait des précédents en le qualifiant de sens interne. Il est certes interne pour le sujet qui est individu, mais en même temps commun au regard de l’objet qui relève du collectif.
Le sens commun chez Aristote n’est toutefois pas un sixième sens comparable aux cinq premiers, car il n’est pas à proprement parler une faculté sensible de saisie de la réalité par un organe spécifique. On ne peut pas le réduire au seul travail électrochimique de représentation à l’œuvre depuis nos organes sensoriels jusqu’à notre cerveau, qui relève du calcul.
Or « notre cortex ne traite pas l’information, il la représente » nous indique Claude Touzet[2]. Le sens commun d’Aristote en revanche est un instrument de traitement de l’information, ce qui le distingue des cinq sens dont il se nourrit, qui sont des instruments électrochimiques de représentation de l’information, à l’œuvre dans notre cortex cérébral. Nous prendrons cependant cette liberté de langage qui consiste à le considérer comme une sorte de « sixième sens » opérant une synthèse et « ajustant les cinq autres à un monde commun »[3]. Appliqué à un système d’information documentaire, ce « sens commun » est une intuition collective. Celle-ci répond en effet à un besoin de sens collectif animant ce « mouvement continu et ininterrompu de la pensée qui prend de chaque terme une intuition claire », comme Descartes en fait la description à propos des « chaînes de pensées » irriguant nos raisonnements, « dont chaque maillon doit être vu par intuition »[4].
Le sens commun, c’est ce sixième sens intégrant les signaux portés par les cinq sens externes. C’est un nouveau signal qui porte cette sorte de jugement que l’on nomme parfois « jugeote » et qui peut s’identifier à l’intuition, précédant la pensée, ce processus analogique à l’œuvre dans le travail conceptuel de la mémoire (l'intelligence).
[1] André Comte-Sponville, op. cit. p. 219 (entrée ÉTHIQUE).
[2] Claude Touzet, L’intelligence existe-t-elle ?, Hors-série La Recherche – tangente – spécial logique, juillet 2012.
[3] Hannah Arendt, La vie de l’esprit, La pensée. PUF, Paris 1981.
[4] André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2001.
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